Entretien avec le ténor Kaëlig Boché (janvier 2021)

 Kaëlig Boché 

Publication sur ODB : 6 janvier 2021, réédition sur mon blog ce jour. 

 

J'ai rencontré le jeune ténor Kaëlig Boché, dont le prénom trahit si harmonieusement les origines bretonnes, en décembre 2020. Une belle voix, un style et du caractère, autant de qualités qui devraient lui permettre une vraie belle carrière.

Cher Kaelig, je vous ai remarqué à deux reprises récemment : la première fois dans cette représentation en version concert de l’Ernani de Verdi au Théâtre des Champs Elysées où vous chantiez avec cette belle voix mélodieuse et claire au style très élégant à la Benjamin Bernheim, le petit rôle très prometteur de Riccardo, la seconde fois du fait de votre importante participation au CD « Alexandre Dumas et la musique » que j’avais décidé de chroniquer parce que j’aime bien Karine Deshayes et que le sujet suscitait immédiatement une grande curiosité. Or vous chantiez merveilleusement bien dès le premier titre, l’Elégie de Massenet… vous avez été également Edwig dans Fervaal à Montpellier, vous avez été révélation classique de l’année 2017 par l’ADAMI, un début de carrière intéressant pour un jeune ténor, adepte de la mélodie. Notre forum est ravi de vous accueillir pour en savoir davantage sur vos origines, vos débuts, vos espoirs et vos souhaits…et pour commencer : comment êtes-vous arrivé au chant lyrique ?

Originaire de Bretagne comme mon prénom l’indique si bien, je suis né à Vannes mais j’ai surtout vécu à Rennes, j’ai débuté le chant au Chœur d’Enfants de Bretagne, qui n’était pas rattaché au conservatoire et qui officiait à la cathédrale de Rennes mais pas seulement, nous faisions de nombreux concerts également et des tournées grâce auxquelles j’ai eu la chance d’aller chanter un peu partout dans le monde c’était une expérience de vie extraordinaire !
Et puis lorsque j’ai mué, une organiste qui nous accompagnait régulièrement, Cécile Paris, m’a dit : « tu as une « voix » et un potentiel, tu devrais continuer et voir un professeur en cours particulier » et elle m’a conseillé le concours d’entrée du conservatoire de Rennes. A cette époque, je ne connaissais absolument pas l’art lyrique du moins le genre de l’opéra, enfant je chantais de la chanson, un peu d’oratorio à voix égales ou du chant liturgique. Je suis entré à 16 ans au conservatoire de Rennes dans la classe de Martine Surais Deschamps, Elisa Bellanger et Sébastien Joly et là j’ai poussé une porte sur un monde dont j’ignorais presque tout, puisque si j’avais étudié un aria antique et une mélodie française pour passer le concours, à part cela et quelques lieder de Schubert, je ne connaissais pas grand-chose à ce répertoire. Avec Martine d’une part et nos chefs de chant, j’ai commencé à découvrir le répertoire lyrique et à travailler ma voix, ce que je n’avais jamais fait sur le plan purement technique.
Je souffrais d’un énorme problème d’anxiété pour les prestations en public mais une envie forte de chanter. Ma chef de chant m’a conseillé de passer beaucoup d’auditions pour m’habituer et m’entraîner à cette confrontation avec un public ou un jury. C’était donc il y a à peu près quinze ans !
Ensuite à tout juste 18 ans, j’ai intégré le chœur professionnel de l’Opéra de Rennes, après avoir passé son concours et là tout a changé à nouveau, j’ai découvert la scène de l’Opéra où je n’avais jamais mis les pieds, la construction d’un spectacle, etc. Rennes ne montait que trois ou quatre opéras par an mais j’étais si heureux du chœur et du travail avec son chef Gildas Pungier à chaque fois que j’ai commencé à acquérir mes premiers galons de chanteur professionnel.
En parallèle, je suivais un cursus d’études de Gestion des Entreprises et des Administrations à l’université de Rennes, je n’envisageais pas encore la musique comme un métier mais je me suis naturellement tourné vers l’Orchestre National de Bretagne pour mon stage de fin d’étude en spécialisation communication qui fut prolongé de six mois, j’avais trouvé mon domaine : la culture. Quand j’ai intégré le Chœur de l’Opéra je trouvais d’ailleurs incroyable d’être payé pour chanter (et me régaler !) car je n’étais pas d’une famille de musiciens professionnels (un grand père qui chantait une unique et mémorable chanson, ma mère et ma sœur un peu de piano mais rien de trop poussé). Gagner sa vie comme musicien c’était une vraie nouveauté et pas des moindre. En somme, le chœur d’enfants et mes premières rencontres musicales rennaises ont vraiment été décisives !

De choriste avec un peu d’expérience de scène, comment devient-on soliste ?
Je suis resté deux ans à l’Opéra de Rennes et j’ai acquis mon diplôme de gestion à la fac (assez brillamment d’ailleurs puisque j’ai adoré ça et j'ai pu terminer troisième de ma promo) mais à l’issue de ces études, la plupart de mes camarades étudiants intégraient une Ecole de commerce et ce choix ne me tentait pas du tout.
J’ai alors entendu parler par une amie du temps des chœurs d’enfants, du Jeune Chœur de Paris. Elle m’a conseillé de passer rapidement ce nouveau concours et de me méfier de la limite d’âge (24 ans). J’ai suivi son conseil et j’ai été reçu au Conservatoire Régional de Paris où ce déroulait ce cursus et j’y suis resté trois ans. C’était un travail très intense et un rythme très soutenu puisqu’il fallait suivre à la fois un cursus de soliste avec chef de chant, cours de chant, histoire de la musique, formation musicale, analyse, étude des styles, des divers répertoires (baroque, romantique et contemporain) en diction italienne, allemande et anglaise etc. Nous participions à beaucoup d’ensembles et de productions en chœur pour divers concerts, nous étions tous de jeunes étudiants avec un planning chargé, nous avions la chance de nous produire au théâtre du Chatelet, à la Cité de la musique, salle Pleyel etc…



Un peu plus sur ce Jeune Chœur de Paris ?
Le Jeune Chœur de Paris a été fondé par Laurence Equilbey en 2002 au Conservatoire à rayonnement régional de Paris. Il permet tout à la fois un enseignement très complet et la participation à des concerts pour lesquels, étant étudiants, nous ne sommes évidemment pas rémunérés. Cela m’a permis de découvrir beaucoup de répertoires et de styles différents mais ce fut aussi une période un peu usante du fait que je travaillais en parallèle en boutique chez l’opérateur télécom SFR pour payer mes frais et la vie chère à Paris. Sans doute est-ce parfois une expérience un peu trop « poussée » pour de tout jeunes chanteurs, mais c’est aussi une somme d’expériences irremplaçables et un rythme de travail qui permet et impose d’exploiter toutes ses facultés (temps de travail, temps de repos, organisation, solidité vocale). Mais, malgré cela, je n’ai pas trouvé dans cette structure de professeur qui me convienne vraiment, j’avais beaucoup de questions techniques qui ne trouvaient pas réponse et finalement beaucoup de doutes. Il faut dire que pour les ténors et pas seulement d’ailleurs, c’est vraiment difficile de trouver un bon professeur de chant. Cette tessiture et notamment l’accès aux aigus semble toujours poser problème à de nombreux professeurs qui peuvent se lasser facilement : « vous n’y parviendrez pas, vous n’avez pas d’aigus, vous n’avez pas travaillé mes exercices » entend-on assez rapidement et trahissant le défaitisme. Trouver un professeur quand on est chanteur est vraiment une tâche très complexe, c’est une relation à double sens de confiance où l’on doit travailler sur tous les aspects du corps et du mental pour vraiment progresser. Et, évidemment, le chant touche à l’intime et je remarque que cela pose souvent problème d’un côté ou de l’autre puisqu’un professeur même expérimenté et reconnu, peut manquer de confiance en lui face à des aspects techniques qui mettent plusieurs mois à se mettre en place chez l’élève, alors qu’il a parfois l’impression de devoir produire un résultat le plus rapidement possible pour répondre aux attentes dans les conservatoires notamment. C’est vraiment complexe !

Pourtant quand on vous écoute on n’a guère de doute sur votre appartenance nette à la catégorie des ténors.
Oui surtout que je n’avais pas vraiment de « graves » donc dans mon for intérieur, c’était certain que je ne deviendrais pas un baryton…j’ai senti très vite que j’atteignais beaucoup de limites techniques au Jeune Choeur de Paris et j’étais donc de moins en moins à l’aise avec l’évolution de ma scolarité, ce qui m’a fait énormément souffrir.
Du coup, j’ai décidé de passer le Concours du Conservatoire National de Musique de Paris. La première fois j’ai échoué tout proche du but j’avais passé tous les tours, mais j’ai persévéré et la deuxième fois ça a fonctionné de justesse (je suis arrivé avant dernier sur la liste et j’ai eu le bonheur d’intégrer une promotion incroyable de douze talents que je savais déjà promis à de belles choses.
Quand je suis arrivé au CNSMDP, j’ai découvert là-bas une grande qualité de professeurs comme Ute Gerzabek, Agnès de Brunhoff pour les techniques corporelle et Alexander ainsi que le travail sur la respiration par exemple, ou Sabine Vatin pour la lecture des répertoires et la formation musicale, Anne Le Bozec et son incroyable classe d’accompagnement en Lied et Mélodie, de nombreux chefs de chant inspirants et merveilleux, une professeur d’analyse passionnante, des metteurs en scène, etc. J’ai passé la porte de nombreux cours notamment de chant pour découvrir ce qui allait me convenir. J’ai ainsi fait la rencontre d’Elène Golgevit qui m’a permis de construire ma voix et qui a accompagné mes 4 dernières années. On est reparti de « zéro » et en 4 ans j’ai énormément progressé jusqu’à obtenir mon Master « mention très bien » à l’unanimité et les Félicitations du jury !
Je continue mon travail de fond avec elle et mes coachs indispensables, Charlotte Bonneu et Frédéric Rubay. C’était très stimulant, j’avais enfin des réponses et tout s’est accéléré. J’ai rencontré mon agent en troisième année juste avant de recevoir le prix de l’Adami, des premières auditions et projets…

Oui vous avez été « révélation classique » en 2017
Oui, ça a été une étape importante pour moi, surtout sur le plan psychologique : cela était un premier encouragement très important du métier qui m’a permis de commencer à me dire que je ne m’étais pas tromper. Ensuite, j’ai passé quelques auditions pour des orchestres en régions avec qui j’ai commencé à nouer des relations très heureuses, notamment l’Orchestre régional de Normandie qui m’a fait confiance rapidement et avec qui j’ai réalisé plusieurs magnifiques programmes (transcriptions de lieder de Schubert, Messe du couronnement de Mozart, les Illuminations de Britten : un souvenir incroyable) alors que j’étais encore étudiant, l’ONPL également avec le Roi David d’Honegger, l’orchestre de chambre de nouvelle Aquitaine (L’Enfance du Christ de Berlioz), l’Orchestre Dijon Bourgogne (Stabat Mater de Schubert), l’Orchestre de Massy (Sérénade pour Cor et Ténor de Britten). J’adore ces programmes et invitations avec les orchestres, que ce soit pour du récital ou de l’Oratorio, l’émulation et la liberté que l’on m’y prête me réjouis à chaque fois !

Les Régions jouent un rôle important dans la promotion des jeunes chanteurs débutants ?
Oui, en tout cas ce fut le cas pour moi ! Il y a une autre atmosphère dans les concerts en régions, c’était très formateur également et très bénéfique puisque cela me prouvait que je pouvais chanter avec orchestre de multiples œuvres. Il est vrai que lorsque j’étais au conservatoire, peu de choses se passaient avec orchestre, la plupart du temps c’était en accompagnement piano qui présente forcément des limites pour comprendre et se préparer à l’ensemble des qualités nécessaires pour travailler avec une formation musicale instrumentale plus complexe et plus dense. Nous n’avions lorsque j’étais étudiant, qu’un programme lyrique par an (si vous étiez choisi) avec l’orchestre du conservatoire ce qui fait peu.

Et à cette étape, vous savez quel répertoire vous convient le mieux ?
Pas du tout, disons qu’à l’écoute, on se reconnaît souvent dans un répertoire qui nous plait davantage et ce je dirais par instinct mais comme je me suis beaucoup cherché techniquement les premières années, je ne savais pas trop quel était le répertoire qui convenait le mieux à mes possibilités vocales. Je ne savais pas du tout ce que j’allais chanter avant de commencer mes premiers projets.

Au hasard vous prenez votre pied en chantant plutôt Rossini ou plutôt Massenet ?
Massenet sans hésiter. Et puis en plus des œuvres lyriques, j’adore la mélodie française.
Anne Le Bozec m’a fait confiance très tôt, m’a offert des concerts, et même de l’opéra puisque j’ai pu chanter une version qu’elle avait réécrite pour deux pianos et percussions du Saint François d’Assise de Messiaen au festival de Messiaen deux années de suite et j’ai fait ses classes plusieurs années au conservatoire avec différents pianistes qui sont toujours mes partenaires aujourd’hui, j’adore le récital et le répertoire de lied et mélodies, j’ai beaucoup de projets en tête pour cela.
Pour le CD Alexandre Dumas c’était avec le pianiste Alphonse Cemin avec qui je n’avais pas encore travaillé mais c’est une rolls royce ! (rires)
Pour ce CD nous étions, Marie-Laure et moi, sous les conseils artistiques et musicaux de Karine Deshayes et Alphonse Cemin, c’était très enrichissant et passionnant sur ce répertoire que nous découvrions parmi le corpus présenté pour ce projet.

Il a bien marché alors que à part Karine Deshayes, il n’y avait pas beaucoup de gens connus ?
Oui incontestablement, on en a parlé, pas mal, il y a de nombreuses émissions qui l’ont cité, France Musique en a parlé et diffusé de larges extraits plusieurs fois. Le projet à l’origine est venu de l’initiative des « Amis d’Alexandre Dumas » et de l’association Jeunes Talents (qui m’a aussi fait confiance de nombreuses fois !). On a fait un tri des compilations qu’ils avaient réalisées. On a choisi ce qui restait d’intéressant et cohérent pour nous cinq (avec également le violoncelliste Raphaël Jouan) et nous avons complété avec des airs contemporains au corpus ou s’en approchant via le style, l’époque ou le sujet pour réaliser un ensemble cohérent et agréable.

J’ai trouvé cet ensemble très agréable à écouter, et avec finalement, une unité de style plaisante.
Oui c’était un pari réussi je crois et porté magnifiquement par l’Association Jeunes Talents et Alpha Classics, un super coup de pouce pour Marie-Laure (Garnier) et moi-même.

Alors super pas de chance, le concert prévu en décembre auquel nous étions nombreux à vouloir nous rendre salle Gaveau, qui se retrouve donc annulé du fait du COVID…
Oui mais coup de bol, il est reporté à… février ! On croise fort les doigts.
L’annonce n’est pas encore faite mais va l’être tout bientôt. Le concert était annoncé complet ! C’est très important pour nous de réussir à le tenir !

Souhaitons qu’il se tienne en effet, nous avons hâte de vous entendre tous en direct…
Bon Massenet, OK, l’élégie était parfaite, compréhension de la mélodie manière de la retranscrire, alors quel serait votre rôle favori ?

Le répertoire français sera pour moi, je le pense sérieusement et j’en suis intimement convaincu, mais là c’est trop tôt. Il faut attendre encore et continuer de développer mon instrument. Là j’apprends mon métier, je fais des seconds rôles dans beaucoup de maisons et c’est très chouette donc j’ose ne pas répondre à cette question de manière trop précise pour le moment…

Vous avez déjà une diction et une prosodie très belles et très précises, c’est un bon rythme, une adéquation en quelque sorte, et parmi les compositeurs du répertoire français, qui choisiriez-vous d’abord ?
On a parlé de Massenet bien sûr, puis Gounod que j’aime beaucoup également ainsi que Berlioz où il y a des partitions magnifiques et que je trouve transcendantes, j’adore aussi Saint Saens, Bizet, Offenbach et l’opéra-comique.
J’aborde par petits bouts certains rôles. J’ai chanté l’an dernier le récitant de l’Enfance du Christ avec l’OCNA, j’étais très très heureux car pour le coup, cela était parfait pour moi de bout en bout, j’ai adoré chanter cette œuvre et explorer la palette de couleur possible en accord parfait avec l’orchestre qui je crois fut également très heureux du programme.
Ce qui me pose davantage de questions actuellement et seulement à cause de la situation sanitaire heureusement, c’est la tendance à couper dans les partitions, dans ce qui a été écrit par le compositeur pour faire tenir l’œuvre en une heure et demie sans entracte par exemple, ou pour diminuer la taille de l’orchestre, des chœurs pour mes règles de distanciation etc. Les programmateurs n’ont pas vraiment le choix et je suis admiratif de toutes les initiatives visant à sauver notre monde culturel actuellement et pendant cette crise inédite, j’ai hâte que nous puissions rejouer librement sans ces contraintes nécessaires mais difficiles.

Oui espérons que cette période sera bientôt derrière nous, en attendant, Massenet (et en général le répertoire français) propose des orchestrations assez lourdes et riches, ce n’est donc pas évident pour un jeune chanteur…
En effet ! Et le fait de réussir à « passer l’orchestre » fut d’ailleurs une de mes craintes pendant mes études car comme je l’indiquais, nous travaillions très peu avec orchestre et dans des salles souvent pas plus grandes que ce salon. Donc forcément on se demande si la voix « passera » le jour où l’on est dans un théâtre de plusieurs centaines ou milliers de places ! Et puis d’expériences en expériences, on se dit que…ça va (sourire). J’ai eu la chance aussi de faire ce petit rôle dans Fervaal de Vincent d’Indy au festival de Montpellier et là c’était … gigantesque ! Il y avait cent instrumentistes à l’orchestre, cent choristes, et j’avais eu la surprise de voir ma prof assister à cette représentation dans la salle et de recevoir ses compliments sur mon travail et ma projection justement. Et ça, ce fut un sacré test !

Je vous confirme qu’on vous entendait très bien également dans Ernani au TCE, une des raisons pour laquelle nous sommes plusieurs à vous avoir remarqué parmi les solistes des rôles principaux.
On était quinze solistes à Montpellier ; dans Ernani à Paris, Vichy et Lyon, j’avais également un petit rôle, donc ce n’est pas toujours facile de « se faire remarquer ». C’est surtout pendant les auditions devant les directeurs qu’il faut essayer de tirer son épingle du jeu, après je me dis que ça viendra également avec le temps. De petits rôles en petits rôles, la presse finit quand même par nous voir et nous remarquer. J’espère qu’on me fera confiance pour des rôles avec de plus en plus d’envergure comme Tamino dont je rêve.

Mais avez quand même un futur rôle en vue ? Un grand rôle ?
Grand rôle je ne sais pas mais le prochain sera « Le Prince Quipasseparlà » dans le Voyage dans la lune d’Offenbach, ouvrage qui a hélas, été beaucoup coupé pour le COVID. Ce sera à Nancy en janvier puis je le referai dans un an à Marseille et Nice. C’est très chouette, un rôle complètement comique, mais hélas nous avons tous beaucoup moins de choses à chanter de ce fait mais, je reviens des répétions montpelliéraines justement et le spectacle se tient vraiment très bien malgré tout…

Et vous n’étiez pas de l’équipe du Voyage sur la lune de l’Opéra-Comique
Non, ce sont deux productions différentes. Le CFPL va le jouer dans 16 théâtres il me semble et l’Opéra-Comique offrira sa propre production, c’est plutôt chouette pour une œuvre qui n’est pas si souvent jouée que cela.
Et ces coupures « COVID » sont un crève-cœur pour tout le monde, ça peut rendre les transitions compliquées à exécuter, on doit beaucoup rogner y compris dans les dialogues parlés et les personnages sont, de ce fait, moins conséquents et moins consistants. Nous espérons la version complète dès que possible et je l’espère pour ma part lors de ma reprise à Marseille dans un an.

A Marseille, ils font une représentation de la Bohème filmée en fin d’année. Sans public mais retransmise, ces expériences se multiplient, qu’en pensez-vous ?
C’est compliqué en ce moment, pas de public, ou un trop petit public, des demi-orchestres, des représentations uniquement retransmises, ou raccourcies pour tenir sans entracte…bref,
Il ne faut surtout pas que cela devienne la norme. Jouer une seule fois avec captation plutôt que quatre ou cinq, avec des orchestres réduits, sans public ou avec un tout petit public, c’est mieux que rien mais il ne faut pas en prendre l’habitude.
Et puis Il y a un problème avec la captation : c’est le parti pris de la caméra. C’est très bien dans les salles de cinéma de pouvoir voir des productions du MET en France par exemple, c’est sûr, mais ça reste un autre support que le spectacle réellement vivant. Moi j’aime être dans la salle et choisir ce que je regarde sur la scène sans que cela me soit imposé en quelque sorte… Je me rappelle d’une Traviata avec Diana Damrau où je me disais : « c’est sublime mais je ne peux pas regarder ce que je veux ! Je veux voir la réaction du père quand elle lui dit cela… ». Jusqu’à présent au moins, tout spectacle « capté » avait été et en même temps, vu par de vrais spectateurs en salle et en « live » mais ce n’est plus le cas en temps de COVID… c’est nécessaire mais aussi inquiétant qu’on en arrive à retransmettre des spectacles que personne n’a vu en salle ! On perd une énergie évidente, on refait les balances même en direct, on peut faire beaucoup d’arrangements sur les équilibres entre orchestre et voix qui dénaturent en partie les œuvres pensées pour être du spectacle vécu en salle, dans tous les cas on est coupé de cet aspect « vivant ».

Parlez-nous également de votre prochain rôle, Tamino ?
Oui je devais faire mon premier Tamino aux symphonies de Macon pour le Festival, parce que j’avais eu deux prix au concours, le second prix opéra et le prix des lycéens qui m’a beaucoup honoré. On devait faire en novembre deux soirées, deux Flûtes enchantées avec beaucoup d’amies chanteuses que j’adore et admire comme Jeanne Gérard, Amandine Ammirati ou Marine Chagnon. C’est en discussion pour un report l’an prochain. J’avais absolument travaillé tout le rôle pendant mes autres projets et il m’a ainsi beaucoup accompagné ces derniers mois, j’aime profondément ce personnage et le génie de cette musique, il est d’ailleurs sur mon piano comme vous le voyez comme une œuvre de chevet.

Je confirme ! Très belle partition de la Flûte Enchantée sur un piano d'étude.

Vous aimez ce genre de rôles, un peu à la manière du ténor Stanislas de Barbeyrac, une belle référence parmi les artistes lyriques français ?
Oui exactement, je suis très sensible justement à deux de mes modèles actuels que sont Stanislas de Barbeyrac et Benjamin Bernheim.
Stanislas de Barbeyrac vient de chanter un Pelléas, très beau rôle du répertoire français. Il a été enregistré et sortira en disque, j’ai hâte de m’en procurer la copie je vous l’avoue. Et le rôle où Stanislas m’a vraiment fait rêver c’est son Chevalier de la Force dans les Dialogues des Carmélites de Poulenc… là c’est un vrai modèle du rôle en tous points, je suis un grand fan. Pour Benjamin Bernheim j’ai adoré son Alfredo, son des Grieux et je viens de me procurer le Faust dans une version recompilée par le Palazetto Bru Zane qui est une vraie pépite musicalement !


On parle beaucoup du retour du système des troupes pour les chanteurs lyriques, qu’en pensez-vous ?
Je serais totalement pour.

Déjà j’aimerais pouvoir rentrer plus souvent dans ma région bretonne où sont mes racines et toute ma famille. Mais ne nous le cachons pas, tout est vraiment centré sur Paris et Lyon pour les études et les premières opportunités. J’essaye cependant d’agir activement en Bretagne. J’ai repris le Chœur d’Enfants de Bretagne, projet remonté de toute pièce avec 3 amis d’enfance extraordinaires et tellement inspirants. Nous gérons tous les aspects de l’association, les projets, les salariés et la recherche de financements ce qui est très complexe et demande des efforts constants mais là aussi je suis véritablement passionné.
On se rend compte sur place que les talents de la région s’en vont et ne reviennent pas souvent. Alors oui, j’adorerai qu’il y ait une troupe à Rennes par exemple pour garder ou retrouver les artistes sur place. Sans que cela empêche la possibilité d’inviter d’autres artistes et inversement de partir ailleurs pour certains contrats. J’en ai d’ailleurs parlé avec Karine Deshayes qui a connu la troupe à Lyon et qui m’expliquait combien son expérience fut formatrice, que cela ne posait aucun problème pour aller faire d’autres contrats ailleurs, qu’ils invitaient aussi d’autres grands noms pour compléter les distributions etc.

Voir le système allemand, attachement à leurs opéras, qui ne coupe les ailes de personne. Même les grandes stars disent se sentir mieux quand elles peuvent « rentrer » chez elles…
Il faut dire que non seulement les troupes ont disparu mais également que les productions sont de plus en plus courtes, donc, de fait on bouge tout le temps. Moi, je ne suis quasiment jamais ici (dans mon appartement). Pour voir son coach, travailler les rôles suivants, c’est une vie compliquée et fatigante. Cela signifie ne jamais être chez soi. Cela pourrait évoluer suite à la pandémie, me suis-je dit lors du premier confinement, je l’espère en tout cas.

Olivier Mantei directeur de l’Opéra-Comique, a commandité une étude sur la possibilité de re-créer une troupe…
Je connais beaucoup de chanteurs qui regrettent de ne jamais chanter « chez eux ». Ce n’est pas du chauvinisme, mais un raisonnement logique, un désir de chanter aussi devant son entourage, ses amis, sa famille ne pas devoir toujours tout quitter et montrer aux jeunes de sa région les possibilités et le métier…
C’est ce qui a permis de voir les chanteurs français dans leur diversité et leurs qualités, hors du star système.
Il y a beaucoup de grands chanteurs français que l’on voit hélas trop peu car le problème, c’est qu’on a l’impression qu’il faudrait que tous les chanteurs aient le potentiel d’une star internationale pour être engagé plus souvent. Beaucoup de chanteurs n’ont évidemment pas ce potentiel ou cette envie, cela ne veut pas dire qu’ils ne peuvent rien faire bien au contraire ! Heureusement, des directeurs s’engagent de plus en plus envers des artistes « locaux » et le modèle de la troupe pourrait bien revenir en grâce qui sait ? Je pense qu’un nouveau modèle économique est possible à ce sujet et à réfléchir en discutant avec tous les acteurs en jeu : les chanteurs, les agents et impresarios et les structures par typologie.

Un rôle un rêve pour le futur, vous me dites quoi ? Werther ?
Werther c’est le rêve absolu, mais … dans dix-quinze ans ! J’ai trente ans…cela dépendra de l’évolution de ma voix, de ma carrière…

La réussite d’un premier rôle difficile dépend aussi du chef qui sera amené à soutenir votre projet, avez-vous eu l’occasion de rencontrer un chef de ce type ?
Non, malheureusement, je n’ai pas encore eu cette chance mais je débute. J’ai travaillé avec déjà plusieurs chefs bien entendu mais je n’ai pas encore eu cette expérience de travailler étroitement un grand rôle de bout en bout avec un chef. Et j’ai l’impression que c’est de plus en plus rare en amont des productions. Avant, les grands rôles se travaillaient directement et étroitement avec le chef. Ce n’est plus exactement comme cela. On apprend nos rôles chez nous avec nos coachs personnels, qui ne sont pas forcément chefs d’orchestre d’ailleurs, qui peuvent être chefs de chant ou coach vocaux mais on travaille de moins en moins longtemps avec le chef en amont, même sur les productions, puisque le temps dédié à la « répétition musicale préparatoire » en début de projet est réduit. L’art lyrique y perd énormément je crois. Je sens qu’il y a beaucoup de choses que je ne vais pas pouvoir inventer seul lors de mes préparations et que je vais plutôt acquérir avec une longue observation de mes ainés. Si je ne travaille pas avec tel ou tel chef, si je ne vais pas voir telle ou telle personne pour préparer tel ou tel rôle, je risque de passer à côté de la moitié du style par exemple ou de l’attente qu’on peut avoir. A l’arrivée, je connaitrais certes le solfège du rôle mais je ne connaitrais pas assez ce qui fait la finesse du rôle. Je crois que c’est en train de se perdre en effet mais l’évolution va peut-être m’amener à trouver de nouvelles manières de mener le travail préparatoire des rôles de premiers plans.

Il y a aussi une "starisation" du chef, pour qui parfois c’est l’orchestre qui compte en premier, mais prenons Plasson, un des chefs qui s’occupe vraiment des chanteurs quand il dirige l’opéra et qui a beaucoup fait pour la promotion de l’opéra français…
Oui tout à fait, j’ai eu le même constat durant mes études. Heureusement, il y a l’excellente classe de direction d’orchestre d’Alain Altinoglu au Conservatoire de Paris, qui lui est un chef et un pédagogue hors du commun pour les chefs mais aussi les chanteurs. Même au conservatoire, les chefs « élèves » ont finalement peu de séances avec les chanteurs et beaucoup plus avec orchestre seul. Ils sortent donc avec un diplôme en ayant vu également peu de chanteurs et ce que cela requiert. C’est vrai que les cursus sont denses et qu’il en résulte parfois peu de liens entre les différentes classes du conservatoire. C’est difficile, c’est une grosse maison, un paquebot, avec ses inerties, et la réforme licence-master-doctorat a imposé également beaucoup de règles qui ne sont pas forcément les plus adaptées à l’enseignement artistique, tout cela apporte un peu de lourdeur mais cette école reste fantastique du fait de la qualité des professeurs, des enseignements, des moyens et des possibilités offertes aux étudiants. Les passerelles d’un domaine à l’autre manquent un peu mais les équipes et la volonté de la direction est remarquable et je veux le souligner tant cette structure est une chance extraordinaire dans notre pays.

Je trouve que parfois cela se voit que le chef a peu travaillé avec les chanteurs, beaucoup avec le metteur en scène mais cela ne suffit pas… au passage, comment vous sentez vous comme acteur ?
J’aime vraiment jouer, j’aime incarner toute sorte de rôles, tragiques comme comiques ou plus nuancés. Au conservatoire on étudie beaucoup cet aspect. Il faut être à l’aise scéniquement pour pouvoir se concentrer sur les difficultés musicales. C’est déjà assez difficile de tenir compte de tout, le chef, l’orchestre, le retour, les partenaires…il ne faut pas avoir besoin de réfléchir à l’aspect de la technique de jeu, il faut être le plus à l’aise possible pour répondre aux demandes du metteur en scène, ce n’est pas simple mais c’est passionnant et on n’apprend vraiment qu’en pratiquant…

Parfois les metteurs en scène demandent des choses très difficiles pour un chanteur, non ?
Oui c’est vrai ! De plus en plus souvent ils viennent du théâtre pur, de ce fait, les questions d’émission et de temporalité du genre de l’opéra comportent des subtilités parfois difficiles à maitriser dans la direction d’acteur ou même de déplacements. S’ils mettent une rangée d’artistes du chœur entre le chef et nous, par exemple, cela rend difficile notre tâche ou si vous devez courir d’un bord à l’autre en chantant une phrase rapide, comment se faire comprendre de l’auditoire etc.

Qui décide quand on constate un vrai problème d’acoustique pour le chanteur du au choix du metteur en scène, qui décide ? le chef ou le metteur en scène ?
(sourire)
Pour le coup, cela dépend du tempérament de l’un et de l’autre… il faut qu’ils s’entendent… donc là tout dépend !

Et changer de métier si c'était nécessaire, vous y pensez parfois ?
S’il le fallait je le ferais volontiers, je continuerais à chanter pour moi-même, beaucoup de choses m’intéressent comme l’organisation et le montage de projets artistiques. Mais pour le moment, j’en suis à mes débuts et j’ai bien envie de continuer. Je ne quitte pas non plus le répertoire de mélodies. J’ai la chance cette année d’être lauréat et de participer à l’académie Orsay-Royaumont avec deux pianistes, l’une de mes comparses bretonnes, Jeanne Vallée et une américaine vivant à Berlin, Eléonora Pertz avec qui nous allons aborder Zemlinsky, Britten, Schubert et puis en français, chez des compositeurs bretons du XXème qui sont souvent passés sous silence comme Louis Aubert, Paul le Flem, Ropartz ou Rita Strohl mais nous travaillerons aussi autour de Poulenc, Hahn, Fauré et Saint-Saëns.

Ah oui, vous avez fait une vidéo…une « pépite » de l’Avent partie prenante d’une collection dont nous avons parlé sur ODB
Oui c’est un projet qui s’est fait très vite et incroyablement bien. La violoncelliste Héloise Luzatti et la pianiste Célia Oneto-Bensaid travaillent sur beaucoup de compositrices, et créent des projets de valorisation il faut le dire, en un temps record. Elles ont décidé de ce « calendrier de l’Avent » avec 24 pépites, composé de petits morceaux de compositrices toutes différentes, interprétés par des chanteurs de tous niveaux de carrière, qui accepteraient qu’on leur envoie une partition et qui l’enregistrent quelques jours plus tard au château Rosa Bonheur et c’est comme ça que cela s’est fait, et il y a de très jolies et nombreuses surprises. Tout a été tourné en quelques jours, et il y a eu ensuite pour les équipes techniques un boulot de montage considérable. Je les remercie tous pour ces instants qu’ils ont pu nous offrir c’était vraiment 24 cadeaux avant Noël qu’ils nous ont offert !

Merci cher Kaëlig, et à bientôt sur scène espérons-le tous !


Kaëlig Boché
Artiste Lyrique





www.kaeligboche.com
Directeur du Chœur d’Enfants de Bretagne
www.choeursdebretagne.com


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