La fille de Madame Angot à l'Opéra-Comique : pour retrouver une délicieuse oeuvre musicalement fort bien interprétée !

La fille de Madame Angot



De Charles Lecocq

 

Opéra-comique, 27 septembre 2023

 

Quand Charles Lecocq compose La Fille de Madame Angot, opéra comique aux allures d’opérette, nous sommes en 1872, sous la troisième République d’Adolphe Tiers, quelques mois après la défaite tragique et violente de la Commune de Paris. La Guerre avec la Prusse s’est également achevée sur une note funèbre. Période triste donc, où l’on a guère le cœur à s’amuser. Charles Lecocq, compositeur rival d’Offenbach et déjà célèbre pour ses « Cent vierges » sur un livret de Clairville, travaille à Bruxelles à l’Alcazar qu’un très dynamique directeur, Eugène Humbert, a rebaptisé « Fantaisies-Parisiennes », et qui commande au duo un nouvel ouvrage dont il fixe les caractéristiques « Surtout, que votre pièce sorte des grivoiseries à la mode, qu’elle soit populaire et renferme des rondes et des chansons ! Après les graves événements par lesquels la France vient de passer, on éprouve le besoin de chanter pour les oublier ».


La fille de Madame Angot comprendra en effet cet élan et cette joie de vivre que recherchent les spectateurs dans ce qui est avant tout, un véritable divertissement assez pétillant, voire étourdissant de virtuosité. Situant l’action dans le milieu très populaires des Halles de Paris, au milieu des poissardes et des forts, avec ses « Merveilleuses », ses « Incroyables », ses chansonniers poètes et insolents, Lecocq et Clairville choisissent l’époque charnière et équivoque du Directoire, avec quelques lieux parisiens très typés, outre ces célèbres Halles, le village de Belleville et le salon d’une actrice célèbre. Certains personnages sont en effet réels, comme le chansonnier Ange Pitou ou la belle et mystérieuse Lange ou Paul Barras, seulement évoqué, qui est alors l’un des Directeurs.

Le Directoire, période de transition avant le coup d’état du 18 Brumaire qui verra s’installer le futur Empereur Napoléon et signera la fin de la période révolutionnaire, est riche en anecdotes savoureuses, en manifestations de libération des femmes en particulier, dont la Fille de Madame Angot se fait malicieusement et efficacement l’écho.


Grand succès à Bruxelles puis à Paris, l’œuvre était moins souvent donnée ces dernières années avant que le label du Palazetto Bru Zane ne s’emploie à lui redonner vie et notoriété au travers d’une première représentation au Théâtre des Champs Elysées en 2021, gravé dans un DVD et cette série de représentations à l’Opéra Comique en septembre et octobre 2023 sous la direction de Hervé Niquet et dans une mise en scène de l’actuel directeur de l’Opéra de Lyon, Richard Brunel.

Et c’est le choix de ce dernier qui nous laisse un peu perplexe. Pourquoi transposer cette insolence, cette gouaille populaire, ces chansons très datées historiquement, dans la France de mai 68 ? Il s’ensuit de terribles distorsions entre les paroles et ce que le spectateur voit sur scène. D’autant plus, qu’alors que les Halles traditionnelles de Paris existent encore en 68, Brunel juge plutôt astucieux de faire des « Forts » des ouvriers d’une usine Renault, fabriquant à la chaine des 4L avant de les brûler ou d’en faire des barricades. Bref, autant dire que rien ne fonctionne vraiment, aucune des situations de la Fille de Madame Angot ne correspondant d’aucune manière à cette révolte étudiante qui conduisit à une gigantesque grève générale.

On saluera cependant sans réserve une très belle direction d’acteurs et une dramaturgie réussie qui rend l’ensemble des scènes plaisante à regarder et les décors et surtout les costumes de Bruno de Lavenère, ont beaucoup de qualité esthétique, de par leurs multiples clins d’œil au genre « comédie musicale » -notamment les Demoiselles de Rochefort », sans oublier quelques allusions discrètes aux célèbres opéras chinois d’alors.

Malheureusement, la configuration des lieux de la salle Favart, rend complexe tout changement du décor volumineux, nécessitant quelques précipités et des interludes durant ces mini-pauses où Hervé Niquet dirige des extraits de la Suite en forme de Valse (composée en 1898) de Mel Bonis (1858-1937) : Interlude et Valse lente sera interprété entre l’acte I et l’acte II, ainsi que Scherzo-Valse avant le final de l’acte III.

Hervé Niquet dirige l’orchestre de chambre de Paris avec beaucoup de vivacité et d’élan donnant à la partition toutes ses dimensions ludiques, d’une richesse musicale assez inattendue dans une œuvre aussi légère. Il est attentif à son plateau vocal globalement très en forme et très brillant, qui doit faire face à de nombreuses difficultés allant de duos virtuoses qui n’ont rien à envier au plus beau Rossini, à des quatuors et quintettes étourdissants dont la précision est admirable, en passant par une intervention régulière des très beaux chœurs du Concert Spirituel, particulièrement adéquats à ce répertoire léger, la légèreté requise nécessitant précisément, un grand talent d’exécution.

Côté solistes, outre un jeu d’acteur tout à fait parfait qui conduit à une véritable adhésion du public aux aventures et mésaventures de ces personnages fort attachants, nos interprètes sont à la hauteur du défi à chaque instant.

Hélène Guilmette campe une Clairette irrésistible, façon « Marie » de la Fille du Régiment, très décidée, et montrant les diverses facettes de son personnage finalement assez complexe et très moderne, au travers de ses divers déguisements : la fiancée hésitante puis récalcitrante, celle qui ose défier le pouvoir, celle qui retrouve sa copine de couvent, celle qui est amoureuse du chansonnier mais veut rester libre. Si la voix, très belle, est parfois un peu petite (ce qui s’entend tout particulièrement quand elle s’empare d’un mégaphone qui l’amplifie soudainement), elle convient parfaitement à l’espace de la salle Favart et l’on salue bien bas ce formidable personnage qui ne perd jamais ni ses aigus, ni ses vocalises, ni son style et nous offre une très belle prestation. Avoir la majestueuse (mais très drôle) Véronique Gens comme partenaire, renforce évidemment le plaisir des duos des deux femmes. La soprano, en grande forme vocale, darde ses superbes aigus et enroule ses vocalises avec la classe qu’on lui connait. Une sorte de perfection pour l’incarnation d’un personnage équivoque, la dame Lange, cette « Merveilleuse », tout à fois fantasque et généreuse qui lui va comme un gant.

Et puis comme on aime les découvertes, on est ravi de celle de l’interprète de Pomponet, l’amoureux trahi, formidablement incarné par Pierre Derhet, jeune ténor belge qui tout en soulignant sa naïveté, sait rendre attachant son personnage par une interprétation magistrale de bout en bout tant sur le plan scénique que vocal, belle voix, belle agilité virtuose, belle tenue dans les duos époustouflants notamment avec le très bon Larivaudière du baryton Matthieu Lécroart, autre très agréable découverte de la soirée.

Julien Behr que nous connaissons bien, livre un Ange Pitou très bien chantant également, avec beaucoup d’aisance sur toute la ligne vocale. Les rôles secondaires sont justes et parfaits de tous les points de vue. 

Les interventions de l’acteur Geoffrey Carey, avec son irrésistible accent british, apportent également des notes d’humour régulières. On sent le véritable travail d’une équipe très soudée et qui nous offre une soirée très réjouissante autour d’une œuvre qui méritait d’être ainsi exhumée dans l’écrin bien agréable de la salle Favart, doux pour les voix et à l’acoustique irréprochable.


saluts lors de la Première



Direction musicale Hervé Niquet • Mise en scène Richard Brunel • Avec Hélène Guilmette, Véronique Gens, Pierre Derhet, Julien Behr, Matthieu Lécroart, Floriane Derthe, Ludmilla Bouakkaz, Antoine Foulon, Geoffrey Carey, Matthieu Walendzik, François Pardailhe • Orchestre de chambre de Paris • Chœur Le Concert Spirituel



 

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