Pour l'amour du septième art : la musique de film par Jonas Kaufmann.

Album de Jonas Kaufmann, the Sound of Movies 



22 titres, chez Sony Classical, sortie en septembre 2023.

 

La sortie d’un nouveau CD de Jonas Kaufmann est l’occasion de multiples interviews du célèbre ténor, parmi lesquelles on citera celle de France Musique et du Figaro pour la France, une très longue émission allemande, « Das », avec sofa rouge, et celle de la Corriere della Serra en Italie. Jonas Kaufmann revient assez systématiquement sur ses problèmes récurrents de santé de l’année 2023 (résultat d’une sorte de Covid long surinfecté, désormais soigné et guéri) mais aussi sur ses projets annonçant tour à tour des pourparlers entre Alexandre Neef et son agent pour prochaine venue à l’Opéra de Paris tout comme le fait qu’il fera, avec Anna Netrebko, l’ouverture de la saison 2024-25 de la Scala de Milan. Dans les deux cas, mystère sur l’œuvre concernée. Jonas Kaufmann se prépare, confiant, à entamer le programme de cette saison avec un spectacle mis en scène par Claus Guth autour du Doppelganger de Schubert, donné ces prochains jours au Park Avenue Armory de New York.

En attendant, promotion oblige il s’agit surtout de ce nouvel opus, rouge, bleu, jaune, intitulé « The sound of movies » que j’ai écouté à plusieurs reprises depuis sa sortie, chaque fois avec beaucoup de plaisir.

Dès l’ouverture de ce CD, avec The loveliest night of the Year on plonge dans les souvenirs musicaux des grands tubes d’Hollywood avec The Great Caruso, ce film musical américain que Richard Thorpe avait tourné en 1951 sur la vie du grand ténor, le premier dont nous possédons quelques rares enregistrements « directs ».

Jonas Kaufmann, qui détient une sorte de record des enregistrements de ces quinze dernières années, s’est lancé avec ce nouvel opus, dans l’évocation nostalgique des films emblématiques de sa jeunesse (et de la nôtre), au travers de leurs « tubes ». Son choix est dicté par sa passion du cinéma, sorte de consolation des grandes solitudes du chanteur de fond, naviguant de ville en ville pour assumer ses engagements de star internationale, de New York à Milan en passant par Sydney ou Tokyo, terriblement esseulé, les soirs où il ne se produit pas. La chaleur des salles obscures, lui permettait d’oublier cet isolement dans une ville étrangère pour se réfugier dans les merveilleuses fictions du septième art.

Et le deuxième titre est celui d’un film emblématique des belles histoires d’amour qui sont restées des références, le fameux Love Story, dont la musique composée par Francis Lai, comporte un thème transformé en chanson par Carl Sigman sous le titre  Where do I begin , immortalisant une mélodie un peu sirupeuse, qui évoque malgré tout le fameux Elle aimait les Beatles, Mozart et moi, célèbre citation en exergue du film.

Avec le troisième titre, le fameux Maria de West Side Story, Jonas Kaufmann rappelle qu’il est bien un chanteur d’opéra, son interprétation de la magnifique déclaration d’amour de Tony dépasse de loin les habituelles incarnations un peu fades et préfabriquées des chanteurs de « Musicals » et son emploi d’un magnifique aigu sur l’un des dernier « Ma-r-i-a » sonne avec l’éclat d’un amoureux passionné comme jamais, qui chuchote d’abord avec recueillement avant d’enfler sa voix dans un de ces crescendos dont il a le secret de l’absolue maitrise. 

Certes, ce n’est ni Wagner, ni Verdi, puisque c’est Bernstein mais cette formidable comédie musicale au panthéon du genre dans une version inhabituellement dramatiques, méritait bien l’hommage d’une des plus belles voix lyriques de l’heure, dotée d’une technique du souffle toujours remarquable. La longue note tenue par deux fois sur les trois derniers Maria, rappelle le savoir-faire artistique de celui qui chante Siegmund et ses deux Wälse sans problème.

Et finalement quelle formidable valorisation de ce qui est parfois appelée avec un peu de mépris « la bande son » d’un film que d’illustrer toutes ces petites merveilles des salles obscures.

Logique que Jonas Kaufmann ait choisi par ailleurs les plus grands compositeurs de « musique de film », comme Hans Zimmer (pour son Now we are free du film Gladiator) ou Ennio Morricone plusieurs de ses réalisations, dont Cinéma Paradiso, Once upon in America, et the Mission). Sa revue intelligente et formidablement bien interprétée, parcourt ainsi plusieurs époques, son goût pour les récits d’amour fou et pour les grandes épopées historiques, transparait dans son choix, comme révèle d’ailleurs les grands succès du genre au travers les âges et les pays.

On saluera aussi la rencontre avec le célèbre Strangers in the night  immortalisé par Franck Sinatra et bien plus connu que le film correspondant  A Man could get killed . Quand la musique reste au-delà de son support d’origine….

En fin connaisseur de cette musique, héritière de l’opéra par bien des aspects, Jonas Kaufmann souligne dans une de ses interviews (Corriere della sera) que quelques compositeurs ont été auteurs de musique classique comme de musique de film, tels Erich Korngold (qui a composé l’opéra Die Tote Stadt) et ajoute : « Bernard Hermann, auteur de musiques pour Hitchcock, Wells, Scorsese, a composé de nombreuses pièces symphoniques. Sans parler de Bernstein. « West Side Story » est un sommet de comédies musicales, de cinéma et d'opéra. Une grande partie de la musique de film doit beaucoup à Puccini et à Strauss. » tout en rappelant qu’un Ennio Morricone « se considérait comme un compositeur de musique classique mais a connu le succès au cinéma, il a eu la chance de rencontrer Sergio Leone, comme Nino Rota avec Federico Fellini ». 

Au hasard des titres, on croisera d’autres comédies musicales comme Les Misérables de Claude-Michel Schönberg ou The Student Prince, film musical de Richard Thorpe et l’incontournable Sound of Music  avec la belle chanson empreinte de nostalgie,  Edelweiss,  symbole de la résistance à l’Anschluss, d’autres compositeurs célèbres comme Vangelis (Conquest of Paradise) dont le titre est particulièrement exaltant sur le plan musical, Nino Rota dont le What is a Youth  de Romeo e Giuletta est l’une des perles de ce CD, Henry Mancini (Moon River du délicieux Breakfast at Tiffany), Carlos Gardel (Per una Cabeza) ou Vladimir Cosma pour Reality.

Tour à tour rêveur, passionné, enflammé, conquérant, élégant, racé, plus souvent nostalgique que joyeux, le ténor présente des titres variés qui se succèdent avec harmonie, même si, pour des raisons d’histoire personnelle plus que d’interprétation, certains vous touchent davantage que d’autres.

L’ensemble est soigné, presque trop parfois serait-on tenté de dire, souvent le ténor vit avec les personnages qu’il incarne et l’on est profondément ému, d’autres fois, le style est un peu moins fouillé mais ce sont des réflexions de « riche » car c’est incontestablement une belle réussite que cette incursion dans le cinéma, de la part d’un chanteur d’opéra au répertoire déjà très varié.

L’album comprend quelques-unes de ces belles affiches des films évoqués, et le détails de la genèse de l’enregistrement : choix des films, des chansons à partir des airs les plus célèbres, accompagnement instrumental, le plus souvent assuré par le Czech National Symphony Orchestra sous la direction de son ami Jochen Rieder. Certains morceaux, comme le Moon River de Breakfast at Tiffany, initialement prévu comme une chanson que l’héroïne Audrey Hepburn devait interpréter dans le film, ou l’Edelweiss de Sound of Music, sont magnifiquement accompagnés par la guitare de Milos Karadaglic.

A écouter en boucle en voyant les images défiler...celles de nos souvenirs les plus heureux.



 

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