L'affaire Makropoulos à l'Opéra de Paris : une oeuvre rare, une grande réussite !

L'Affaire Makropoulos


De Leos Janacek

 

Opéra de Paris, représentation du 5 octobre 2023 

Une salle à moitié vide pour la Première d’une œuvre rare n’est pas de très bon augure pour la suite des représentations. La veille, la salle de Philharmonie de Paris était bondée pour un programme musical aussi exigeant mais doté de deux stars du classique.

Il est probable qu’à l’inverse, cette œuvre flamboyante de Janacek souffre d’un très grand déficit de notoriété que la communication de l’Opéra de Paris ne parvient pas à réduire significativement pour attirer un public plus jeune.

Pourtant tous les ingrédients d’un succès sont réunis !

L’œuvre est courte – une heure cinquante sans entracte-. L’histoire du mythe de l’immortalité appliqué à une sombre intrigue autour d’une cantatrice de 337 ans est moderne mêlant habilement science-fiction et étude de mœurs.


La mise en scène est époustouflante de virtuosité et de beauté plastique, Warlikowski s’inspirant des heurs et malheurs des icônes du cinéma glamour d’autrefois. Dès l’ouverture, de très belle facture, des extraits célèbres de scènes hollywoodiennes, s’affichent sur l’écran en fond de scène. Emilia Marty, la cantatrice immortelle de Janacek, est tour à tour la mythique Marilyn Monroe – sa robe s’envolant autour d’elle comme sa fin tragique- la fragile Fay Wray dont le gorille monstrueux tombe amoureux dans King-Kong ou la tragique Gloria Swanson de Sunset Boulevard. Les différents tableaux donnent lieu à des décors où l’on reconnait la « patte » de Warlikowski et qui illustrent fort bien les thèmes de l’œuvre : une salle de conférence d’affaires boisée aux fauteuils bleus qui deviendra salle de cinéma, une immense salle de bain aux multiples miroirs qui brille de tous ses feux comme autant de vies privées jetées à la face du monde, une piscine enfin, symbole du luxe des villas des stars, luxe vain qui n’empêche pas le destin tragique de la plupart d’entre elles.

Le génie du metteur en scène polonais dans la théâtralité, s’accompagne d’une solide direction d’acteurs qui valorise la présence scénique de chacun des interprètes, du plus petit au plus grand, rien n’étant jamais laissé au hasard dans le déroulé des actions.


La musique s’embrase à chaque mesure, donnant la part belle à un grand orchestre où brillent chaque instrument dans un ensemble dirigé de main de « maestra » par  Susanna Mälkki qui nous avait déjà convaincus lors de la précédente reprise en 2013. Dans cette orchestration très riche qui donne la part belle aux cuivres et aux percussions, il faut beaucoup d’attentions pour veiller à ne pas couvrir les voix et la cheffe excelle dans ce répertoire où chacun doit être valorisé à son niveau sans édulcorer une partition très… sonore (et très belle !). Très belle fanfare sans couac, qui apparait parfois sur la scène toujours en très grande forme.

Enfin, si l’interprète du rôle-titre n’a plus l’éclat vocal qu’autrefois, notre divine Karita Mattila en impose suffisamment sur tous les plans pour mériter amplement, le déplacement d’une part et l’ovation que le public lui a réservé à l’issue de la représentation.

Car son sens du théâtre qu’on lui connait depuis longtemps, fait merveille sur cette scène, à sa mesure où elle peut incarner un rôle à multiples facettes, symbolisant l’inexorable marche du temps et la vacuité des gloires éphémères. La voix semble même avoir retrouvé ses accents un peu oubliés ces dernières années dans des prestations plus discutables (Salomé récemment dans la même salle), les aigus sont puissants et percutants et si le medium est parfois un peu en difficulté on lui pardonne aisément, tant l’engagement est constant et splendide dans un rôle vocalement très exigeant où elle ne montre aucune faiblesse.


On est également séduit sans réserve par la prestation de Pavel Černoch, toujours à son aise dans ce type de répertoire du XXème siècle (et que nous avons apprécié il y a quelques années dans Lady Macbeth de Mzensk et plus récemment Daphné). Là aussi la voix est robuste, les aigus clairs et puissants, et l’ensemble du rôle du passionné Albert Gregor lui convient très bien. Dans la série plus loufoque et plus comique de l’œuvre, on apprécie la fraicheur des jeunes gens, le Janek un peu naïf de Cyrille Dubois et la Krista de la soprano Ilanah Lobel-Torres, toute jeune recrue de la nouvelle troupe de l’Opéra de Paris. C’est également le cas du ténor Nicholas Jones (Vitek) qui nous offre une prestation encore un peu timide sans doute, mais il n’est pas facile « d’ouvrir le bal » et c’est son intervention de jeune clerc donnant des nouvelles à Gregor du procès qui dure depuis 1827, qui a le redoutable privilège d’être la première…quant au ténor Peter Bronder qui incarne le petit rôle du vieux comte sénile Hauk-Sendorf, si la voix est parfois affublée d’un fort vibrato, l’incarnation est attachante. 

On saluera également les performances des deux clés de fa, les baryton basse Johan Reuter qui incarne l’ennemi, Jaroslav Prus et Károly Szemerédy pour maître Kolenaty, incarnations très engagées là aussi, très beau jeu de scène et voix très bien projetées.


Et la soirée comporte son lot de très grandes émotions, notamment avec l’ahurissante apparition du monstre King Kong, taille immense, yeux rouges et lumineux, « apportant » dans sa main sa proie, l’héroïne jouant et rejouant la fameuse scène de la bouche d’aération dans Sept ans de réflexion, avant que la starlette qui rêve d’accéder au podium ne l’interprète maladroitement lors du final pour s’approprier l’immortalité.


Il faut aller voir l’Affaire Makropoulos. C’est l’une des belles réussites de cette rentrée à l’Opéra de Paris…


Crédit photos OnP, Bernd Uhlig

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