Les Noces de Figaro à Munich : pétillantes et joyeuses avec des interprètes jeunes et doués !

Les Noces de Figaro


Mozart, sur un livret de Da Ponte


Représentation du 30 octobre 2023

 

Soirée de « Première » à l’Opéra de Munich, les Noces de Figrao ouvrait  la troisième saison de Serge Dorny, avec une nouvelle production du metteur en scène russe Evgeny Titov, la direction très novatrice de Stefano Montanari et une distribution rajeunie et dynamique. Salle comble et très bon accueil du public munichois.

 

Une mise en scène ludique et colorée

La nouvelle mise en scène proposée par le Russe Evgeny Titov est tout à fois ludique et signifiante. Elle insiste -de manière sans doute un peu trop appuyée- sur les obsessions sexuelles du comte, sorte de dandy mondain aux cheveux longs filasses et costumes dorés, « qui ne pense qu’à ça » mais se retrouve finalement le dindon de la farce. Mozart, Da Ponte son librettiste et surtout Beaumarchais leur inspirateur, avait brossé le portrait d’un comte volage et très désireux d’exercer son droit de cuissage. La pièce proposait une contestation assez ouverte de cette « coutume », il n’y a pas donc, à proprement parler, de « trahison » dans cette interprétation, plutôt une outrance qui va avec le choix de l’époque actuelle, la transformation du « giardino » du dernier acte en serre cultivant du cannabis, le loft aux murs décrépits,  représentant la chambre que Figaro mesure au début de l’acte 1, versus le loft identique mais mieux décoré de l’acte 2 transformé en salon chic avec petite rideau (qui s’ouvrira sur le « giardino ») à l’acte suivant. L’ensemble s’accompagne d’accessoires étonnants comme le fauteuil élévateur un peu coquin (le fauteuil comme unique accessoire de la future chambre de Figaro et Suzanna est inscrit dans les recommandations du livret) ou le confortable canapé rose en mousse assez évocateur. Décors et costumes sont l’œuvre de la designer Annemarie Woods qui s’est elle aussi visiblement beaucoup amusée à créer ces espaces un peu délabrés qui abritent une amusante forêt de chanvre indien. Les costumes sont également de bon goût et même assez élégants dans une esthétique plutôt agréable à l’œil, et fort bien portés par des artistes au physique avantageux.

Outre un jeu remarquable de lumières de DM Wood, le jeune metteur en scène, qui sait créer une atmosphère, est également un très bon directeur d’acteurs, ce qui, dans Les Noces, est tout à fait décisif. On rit beaucoup, la jeune équipe choisie s’en donne à cœur joie et tout le monde semble prendre un malin plaisir à cette comédie, cet opera buffa, mené à un rythme soutenu, sans temps morts, avec beaucoup de mouvements très bien coordonnés. On regrettera que la même recette dure les trois heures de l’œuvre, quand l’attrait de la nouveauté s’émousse un peu et que les mêmes gags semblent trop répétés et la dimension sociale que Mozart donnait à son œuvre, un peu gommée par ce parti pris trop « fêtard » (champagne, joints et sexe).


 


Une très belle distribution de jeunes artistes talentueux

Mais cette soirée valait surtout pour la distribution tout à fait excitante des très nombreux rôles de l’œuvre à commencer par le triplé gagnant des trois jeunes femmes, incarnant Suzanna (Louise Alder), Cherubino (Avery Amereau) et la comtesse (Elsa Dreisig).

Il y a tout juste un an, l’Opéra de Munich proposait un Cosi Fan Tutte où brillaient également les jeunes solistes de la luxueuse troupe de la maison, Louise Alder en Fiordiligi, Avery Amereau en Dorabella (et Konstantin Krimmel en Guilelmo).

En Suzanna, jeune, espiègle, décidée et très bien chantante, la soprano Louis Alder confirme son adéquation aux rôles mozartiens, ceci dès son premier duo avec Figaro Se a caso madama la notte ti chiama. Elle fait preuve de beaucoup de vivacité et d’aisance dans un rôle particulièrement virevoltant, la voix est belle et saine, les vocalises précises, les trilles parfaits.



La très belle mezzo-soprano aux accents nets de contralto, Avery Amereau, a remporté un très vif succès aux saluts, du fait d’un timbre absolument magnifique associé à une très belle technique et à un jeu très crédible dans l’incarnation du très jeune Cherubino dont les sens affolés lui font aimer toutes les femmes. Elle réussit parfaitement ce rôle de travesti et l’on se réjouit de l’ensemble des véritables numéros qu’elle exécute.

Mais la palme de l’émotion distillée par le personnage, revient à la comtesse d’Elsa Dreisig. D’une part la soprano possède la voix la plus percutante du plateau, dont la projection impressionnante permet de savourer sans réserve la beauté d’un timbre très pur. D’autre part, elle est totalement à l’aise avec une partition assez exigeante dont elle ne fait qu’une bouchée, tout autant qu’avec un jeu scénique qui convient à sa longue silhouette très mince et à son élégance naturelle. Et elle est sidérante de justesse dans l’expression de sa peine, pauvre Rosine délaissée par le comte volage, prenant tous les risques sur le plateau pour passer de la souffrance à la colère, de la joie à la tristesse, virevoltant malgré ses hauts talons et montrant une fois encore la comédienne exceptionnelle qu’elle est en plus de l’agréable soprano.


Huw Montague Rendall, à la (belle) voix peut-être un peu légère pour le rôle mais à la performance irréprochable, n’est pas en reste dans son personnage de comte un peu foldingue. Chapeau pour la composition scénique qui ne cède jamais cependant aux exigences vocales du rôle, son beau timbre étant mis au service des fantaisies parfois burlesques de son personnage. 

Konstantin Krimmel campe un Figaro idéal également, fougueux, amoureux, bourré de contradictions et finalement vainqueur d’un comte versatile et peu sérieux. Les deux barytons nous offrent des contrastes entre leurs timbres qui comme ceux de Dreisig et de Alder sont assez différents. Autant de richesses d’harmoniques qui sont réjouissantes à l’oreille.

On saluera la présence bienvenue d’artistes plus anciens et confirmés, comme Dorothea Röschmann en Marcellina, Willard White en Bartolo et Martin Snell en Antonio.

Et puis comme toujours à Munich (et quel plaisir), tous les rôles secondaires sont particulièrement bien tenus, le Basilio de Tansel Akzeybek, le Don Curzio de Kevin Conners et la délicieuse Barbarina d’Eirin Rognerud.

 

Une direction musicale excitante mais déconcertante

Il n’y a pas eu de huées pour la mise en scène, mais quelques discrètes protestations ont été émises depuis le public en direction de Stefano Montanari, monté sur le plateau avec des lunettes noires et un pantalon de cuir, et surtout, monté sur ressorts durant toute sa prestation, comme prêt à chaque instant à grimper à l’assaut d’un édifice gigantesque. 

J’ai vraiment apprécié son dynamisme et sa lecture non guindée de la musique de Mozart qui n’a rien perdu de sa vivacité et de sa jeunesse mais force est de constater que les tempi d’enfer imposés dès l’ouverture, sont sans doute un peu excessif pour l’époque et le type d’instruments qui étaient alors utilisés. Cela donne des moments très très excitants comme les fabuleux ensembles, des récitatifs très animés, des arias où chaque artiste est puissamment soutenu par l’orchestre (fabuleux), mais aussi un peu de frustration car Mozart ce n’est pas que l’hypervitaminé et les moments plus mélancoliques ne sont pas mis en valeur. 

Ceci dit, ne boudons pas notre plaisir face à ce beau spectacle réjouissant en ces temps sombres. L’énergie que distillent ces Noces est revigorante et rassurante quant à l’avenir de l’opéra. Après tout, les Noces ont … deux cent trente-sept ans !


©Wilfried Hösl


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