Un Otello décevant à Munich malgré la belle direction musicale de Ciampa

Otello


Giuseppe Verdi

 

Opéra de Munich

Représentation du 29 octobre 2023

 

L’opéra de Bavière proposait pour quelques séances, la reprise de la mise en scène de Amélie Niermeyer, que nous avions déjà pu voir en 2019 lors de sa création à Munich. Malheureusement, les insuffisances du rôle-titre ont limité la réussite de la soirée. 

 

Un rôle difficile

Otello est l’un des drames les plus saisissants que Verdi ait composé, son avant-dernier opéra alors qu’il s’était accordé une longue pause depuis Aida. Sur un livret de Arrigo Boito inspiré de la pièce éponyme de Shakespeare, Verdi décrit d’abord la tempête qui secoue les bateaux de retour de Chypre, anxieusement attendus sur le port de Venise et son déferlement orchestral et vocal célèbre, plonge immédiatement le spectateur dans une ambiance hautement dramatique. Le déchainement des forces de la nature va se doubler ensuite d’un déchainement des sentiments et des passions exacerbés qui sèmera la mort sur son passage.

Le rôle d’Otello est l’un des plus beaux rôles de ténor, il est écrasant par sa longueur mais surtout par les difficultés d’une partition qui exige de l’interprète d’avoir des qualités de ténors héroïques pour quelques passages emblématiques -et notamment le fameux « Esultate » qui marque son arrivée glorieuse et un grand sens du lyrisme verdien, longues notes tenues, legato, souplesse de la voix et capacités à modifier son style dans la même phrase musicale.

Il faut, de plus, incarner les évolutions intérieures du personnage, les doutes qui l’habitent, son angoisse de ne pas être à la hauteur de la noblesse de Desdemone, lui le « Maure de Venise », ses faiblesses de caractère et sa force physique, bref, aucune interprétation monolithique n’est satisfaisante. Ce, d’autant plus que la mise en scène très théâtrale de Amélie Niermeyer, a été écrite pour le couple mythique des quinze dernières années de l’Opéra de Bavière, Jonas Kaufmann et Anja Harteros, tous deux véritables orfèvres de la scène, capables d’une incarnation de rêve de leurs personnages, autant sur le plan des subtilités vocales que des postures scéniques. Kaufmann, l’enfant du pays, triomphe d’ailleurs en Otello, au même moment à l’Opéra de Vienne aux côtés du Iago de Ludovic Tézier et l’on sait, par expérience munichoise notamment, que leur entente est là aussi parfaite et exceptionnelle.

 

Limites de l’interprète

Et hier soir à Munich, le compte n’y était pas, essentiellement du fait d’un Otello hors de propos, le ténor Fabio Sartori qui n’a pas les moyens du rôle tout simplement.

Le déficit de notoriété du ténor italien est certes partiellement dû à un physique très désavantageux mais nous ne nous attarderons pas sur cet aspect, d’autres ténors comme le regretté Johan Botha, avaient les mêmes difficultés à séduire le public du fait d’une image assez éloignée de l’archétype du personnage, ce qui ne l’a pas empêché d’être l’un des grands Otello de ces dernières années avant sa disparition prématurée.

Le problème de Fabio Sartori est que ni le jeu, ni la voix ne suivent les exigences du rôle. Il n’épouse guère la scénographie que ses partenaires suivent, eux, très efficacement, semblant toujours être à côté d’eux mais pas avec eux. Il reste le plus souvent les bras ballants, tourné vers le public ou le fond de la scène, c’est selon, mais sans la moindre expressivité alors que le rôle exigerait qu’il montre l’évolution dramatique qui l’amènera au crime.

Vocalement, on espère beaucoup lors de son arrivée fracassante. La voix est grosse et le premier air sort bien. 

Mais très rapidement, le caractère monolithique d’un chant trop engorgé pour être correctement projeté, se double d’une vraie difficulté à respecter les nuances de la partition et son duo de la fin de l’acte 1 avec Desdemona qui doit être un modèle de chant lyrique, Già nella notte densa, montre que le ténor ne sait guère nuancer, risquant le détimbrage à chaque diminuendo et présentant alors un timbre rauque et sans élégance.

Le duo avec Iago à la fin de l’acte 2 le trouve à l’extrême limite de ses moyens avec de longues phrases musicales davantage parlées que chantées.

Il s’améliore un peu lors de son Dio ! mi potevi scagliar tutti i mali où la colère du Maure éclate mais il est parfois couvert par l’orchestre et le timbre n’est guère séduisant.

Le ténor chante la scène finale et le Calma come la tomba, avec sensibilité pour un final émouvant mais largement en deçà de ce que l’on a pu voir sur cette même scène avec Jonas Kaufmann et son art infini des nuances.

 

Des partenaires séduisants

En face de lui, le baryton Christopher Maltman incarne un Iago avec toutes les qualités d’interprétation qui manquent à son chef. La voix est belle, très bien projetée sans efforts particuliers, ductile, colorée, nuancée, bref tout ce qu’il faut pour chanter Verdi et dans les duos entre les deux protagonistes, il arrive que l’on perçoive surtout la prestation du baryton et peu celle du ténor, créant un déséquilibre important de style et de timbres.

Le plus emblématiques de ses airs le Credo in un Dio crudel est parfaitement maitrisé, sans excès de décibels, avec la subtilité des grands Iago, au sang-froid de serpent préparant sa vengeance.

La Desdémone de la soprano Eleonora Buratto nous offre aussi de très beaux moments. Comme Maltman, elle évolue avec bonheur sur scène malgré la passivité de son partenaire, et, sans avoir sans doute le charisme exceptionnel d’Anja Harteros, que nous regrettons de ne plus voir sur scène, elle nous propose une incarnation séduisante de la victime des jalousies morbides du Maure.

On saluera le beau Cassio du ténor Evan LeRoy Johnson, désormais familier d’un rôle qu’il chante et joue avec la jeunesse et la fougue qui sied à ce rival supposé d’Otello dans l’histoire, rival réel quant à la beauté du timbre et l’élégance de l’incarnation, comme d’autres Cassio l’ont été par le passé. Son talent le conduira certainement bien au-delà de ce rôle. Le Roderigo de Granit Musliu et le Ludovico de Bálint Szabó sont également bien tenus même si l’orchestre et/ou les chœurs les couvrent parfois et Victoria Karkacheva

 Incarne une élégante Emilia (un peu figée par la mise en scène), particulièrement brillante au dernier acte.

 

Superbe direction musicale

La plus grande satisfaction de la soirée sera incontestablement la très brillante direction de Francesco Ivan Ciampa, chef d’orchestre dynamique et inventif, qui conduit avec talent son très bel orchestre vers des sommets de contrastes et d’effets sonores très impressionnants tandis que les chœurs explosent littéralement dès la première scène nous plongeant dans un déferlement de décibels très excitants.

La tension ne se relâche jamais jusqu’à la dernière note, tandis que le chef surveille en même temps les départs de ses chanteurs, les soutenant pour éviter autant que faire se peut, des décalages dans les parties les plus complexes.

La mise en scène d’Amélie Niermeyer, nous a laissé la même impression que la première fois : elle se regarde sans déplaisir du fait d’un parti pris théâtral qui convient à l’écriture de l’œuvre, et hormis quelques scènes de foule parfaitement respectée, c’est dans l’intimité que le drame se joue. Le décor sera donc essentiellement composé d’un emboitage de deux représentations de la même salle -haut plafond, lit, fauteuil, cheminée, fenêtre, éclairage- qui avanceront ou reculeront selon le lieu où se déroulent les événements. Les parties orchestrales sont illustrées par une vidéo sur écran descendu devant la scène mais transparent, montrant ces mêmes salles en images tournoyantes et tordues, évoquant la folie qui s’empare d’Otello. Quelques scènes restent assez incompréhensibles (la mort de Desdémone jouée à l’acte 2 au milieu des fleurs) et l’omniprésence de son interprète qui passe et repasse sans cesse, parfaitement superflue. Quel que soit le message à faire passer sur l’importance de Desdémone, l’opéra s’appelle bien Otello et c’est sur son personnage (et donc son interprète) que repose le secret de la réussite de cette œuvre sur scène.

Les saluts au rideau seront chaleureux car le public de Munich est toujours respectueux des artistes ce que l’on ne saurait lui reprocher. 

Mais, alors que la salle était bondée en début de soirée, de nombreuses places vides sont apparues après l’entracte, phénomène rare à Munich. 

Malgré tout, c’est toujours un plaisir d’assister à l’Otello de Verdi !


📸 W. Hösl

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