Une Cenerentola réjouissante au Théâtre des Champs Elysées, belle mise en scène et excellente distribution dominée par Marina Viotti dans le rôle-titre

La Cenerentola


Gioachino Rossini

 

Représentation du 9 octobre 2023 au Théâtre des Champs Elysées

Photos : © Klaus Gigga


La Cenerentola est le dernier « opera buffa » de Rossini et date de 1817. Le livret s'inspire du conte de Perrault, Cendrillon, avec quelques variantes puisque la fameuse « pantoufle » est là remplacée par un bracelet et la fée par le tuteur du Prince, Alidoro. Le propos est fondamentalement le même, celui de ce roi qui préfèrera la vertu à la richesse, la générosité aux titres, et choisira la petite souillon au grand cœur qui chante près de son feu « Una volta c'era un re ». 

Le Théâtre des Champs Elysées, pas toujours inspiré dans ses mises en scène il faut le dire, avait choisi cette fois Damiano Michieletto, dont on a pu voir à Paris le très réussi Barbier de Séville (Opéra Bastille) ou le plus discutable Don Pasquale (Opéra Garnier), objet de plusieurs reprises à différentes saisons. Et pour cette Cenerentola, nous sommes plutôt dans la veine de son Barbier, avec une scénographie esthétiquement irréprochable, des clins d’oeils remplis d’amour (pour la beauté des pages rossiniennes) et d’humour (pour la légèreté du dramma giocoso, ici parfaitement respectée).

Le décor -celui d’un self-service tout blanc avec étage et grand escalier de côté, ne tourne pas mais s’élève vers les cintres tout en restant visible lors des scènes du bal, et laissant place à son « double » en quelque sorte, un élégant salon transformé pour la fête, dont les accessoires sortent du plancher. Ce qui était un rideau de commerce lors du premier décor devient une large baie vitrée donnant sur un jardin. Tables et chaises disparaissent dans les airs et réapparaissent lors du final pour former l’immense table du banquet du mariage.

De multiples trouvailles plaisantes rendent très vivantes la représentation, telles Alidoro, magicien descendant des cintres sur un fil pendant l’ouverture, son rôle pour figer à l’aide d’une flèche/baguette magique les scènes de foule et isoler tel ou tel protagoniste pour valoriser son rôle (et son chant), un rideau transparent qui tombe avec projection de dizaines de flèches (de Cupidon) dirigées vers la foule, une voiture défonçant la baie vitrée durant l’orage et représentant l’arrivée du carrosse du Prince accidenté, retournement de situation final où tous les protagonistes se retrouvent à leur tour chargés du nettoyage.

Magie, poésie, humour, ponctuent une séance durant laquelle on ne s’ennuie pas une seconde et qui est servie par une direction d’acteurs au cordeau, chœurs compris, qui fait mouche tout au long de la soirée.

Côté musique, on regrettera les tempi très désordonnés du chef Thomas Hengelbrock à la tête de l’Orchestre Balthasar Neumann, une certaine raideur dans l’exécution là où il faudrait du pétillant, du rapide, de l’excitant, du Rossini quoi… Les cordes rendent trop souvent un son un peu sec (impression renforcée par l’acoustique du Théâtre) et les ensembles, le clou de cette œuvre de Rossini, commencent trop lentement pour créer cette féérie vocale attendue, notamment le très décevant Mi par d'essere sognando, qui termine le premier acte.

Côté chanteurs, c’est tout autre chose et l’on se réjouit à l’inverse d’autant de qualités vocales mises ensemble, même si le « chanté syllabique » propre à certains airs de Rossini, n’est pas toujours parfaitement maitrisé, ce qui diminue d’autant la projection des chanteurs et rend parfois confidentielle leur prestation sur ces passages, notamment le sextuor presque final Siete voi? - Questo è un nodo avviluppato.

Par contre, nous avons droit à un festival réussi de vocalises, aigus et suraigus, descentes chromatiques et autre trilles très réjouissant.

La palme de la découverte revient à l’Alidoro de la basse grecque Alexandros Stavrakakis, lauréat du concours Tchaïkovski en 2019 (à 30 ans) et qui nous a littéralement scotchés hier soir par la beauté et l’intelligence de sa prestation. Doté d’un très beau timbre profond et d’une richesse harmonique impressionnante, sombre et chantant tout à la fois, il ne fait qu’une bouchée des difficultés du rôle, alliant une belle technique à une présence très charismatique sur scène. 

Edward Nelson, jeune baryton américain, fait merveille également en Dandini, parmi les découvertes de la soirée. Très à l’aise sur scène, il interprète son rôle de valet déguisé en prince avec beaucoup d’humour, la voix là aussi est belle, ductile, souple, les aigus magnifiques et son Come un'ape ne' giorni d'aprile, remarquable et remarqué, tout comme le drôle de duo avec Don Magnifico Un segreto d'importanza.

Du côté des voix masculines, on est d’ailleurs également très bien servi, par le Don Magnifico de Peter Kálmán, dont la cruauté et la bêtise sont parfaitement bien rendus, adéquation du chant comme du jeu scénique.

Quant au Don Ramiro de Levy Sekgapane, si l’on regrette parfois une projection un peu confidentielle, le timbre est beau, le chanteur à l’aise sur scène et les difficultés du rôle très bien maitrisées notamment dans les suraigus lumineux de ce prince solaire qu’il incarne avec justesse et sans esbrouffe inutile. Très beau Sì, ritrovarla io giuro et magnifique duo avec Angelina.

Angelina, la cenerentola, est évidemment l’héroïne de la soirée, rôle repris tardivement par Marina Viotti qu’on attendait beaucoup tant la jeune mezzo brille de mille feux depuis quelques années. On salue une prestation vive, jeune, séduisante qui donne beaucoup de crédibilité à cette pauvre Cendrillon, vocalement réussie même si le dernier et redoutable rondo final, Nacqui all'affanno, la voit puiser dans ces dernières ressources pour assurer ces écarts de notes assassins, nécessitant la maitrise d’un ambitus considérable. Elle a été à juste titre très applaudie, dominant la soirée de la tête et des épaules et confirmant son charisme sur scène, dû tout autant à son timbre magnifique, à son art des vocalises et à la beauté de ses graves comme de ses aigus dans une remarquable unité sur l’ensemble de la phrase musicale, qu’à une présence incontestable qui électrise le spectateur.

Alice Rossi en Clorinda et Justyna Ołów en Tisbe, bonnes actrices et grande présence sur scène là aussi, assurent leurs rôles de véritables chipies avec un rien d’acidité dans le timbre qui sied à l’emploi. On rit beaucoup !

Bref, nous étions un peu tristes de voir plus d’un tiers de la salle vide pour cette Première. Le déplacement vaut vraiment le coup pour passer une belle soirée !

 

Distribution

Thomas Hengelbrock | direction

Damiano Michieletto | mise en scène

Paolo Fantin | scénographie

Agostino Cavalca | costumes

Alessandro Carletti | lumières

rocafilm | vidéo

Chiara Vecchi |  chorégraphie

 

Marina Viotti | Angelina

Levy Sekgapane | Don Ramiro

Edward Nelson | Dandini

Peter Kálmán | Don Magnifico

Alice Rossi | Clorinda

Justyna Ołów | Tisbe

Alexandros Stavrakakis | Alidoro

 

Orchestre Balthasar Neumann

Chœur Balthasar Neumann

 

 

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