Belle distribution pour Turandot à Paris (Wilson, Kunde, Gonzalez), belle direction (Spotti) mais mise en scène en contresens total

Turandot



Puccini

Création posthume en 1926

 

Séance du 24 novembre 2023, à l’Opéra de Paris, final de Franco Alfano (version courte).

 

Turandot est le dernier opéra de Puccini, œuvre inachevée du fait de son décès, œuvre complétée par divers ajouts qui ne sont pas à la hauteur des intentions du compositeur, si l’on en juge par ces deux premiers actes, bouillonnants, flamboyants mais, de fait, déséquilibrés. En effet il existe au moins deux « finals » ajoutés, l’un par Alfano, son élève et disciple, lui-même subdivisé en deux versions, la longue et la courte, et l’autre par Luciano Berio, beaucoup plus récente mais généralement peu reprise.


La froideur de l'esthétique de Wilson en mode contresens

L’Opéra de Paris nous propose la mise en scène de Robert Wilson, lequel a opté pour le final Alfano version courte, la version longue nécessitant des artistes capables de tenir un duo incandescent très long (Calaf, Turandot) qui ne sont pas légion dans la formation lyrique actuelle.

Choix qui nous éloigne quand même de la belle performance récente immortalisée par un enregistrement studio, de l’orchestre de la Santa Cecilia sous la direction d’Antonio Pappano, avec Sondra Radvanosky et Jonas Kaufmann.

Mais en tout état de cause, l’œuvre inachevée souffre d’un déséquilibre évident si l’on compare aux autres chef-d’œuvres de Puccini, certaines scènes se retrouvent beaucoup trop longues, d’autre trop brèves. L’orchestration d’Alfano ressemble à du (mal) copié-collé de la trame puccinienne, et appauvrit terriblement le final raccourci, surtout quand il est uniquement interprété « en force » par certains artistes comme c’est malheureusement la « mode » actuellement.

Si l’on rajoute ce lamentable arrêt sur image après le « Nessun dorma » pour permettre les applaudissements d’un public auquel on interdit toute spontanéité, alors que l’enchainement musical est de rigueur pour donner tout son sens à cette partie, on se sent particulièrement frustré…

La mise en scène de Robert Wilson, disons-le franchement, est complètement à côté de la plaque pour tout arranger.

Au prétexte que l’action se passe en Chine (en fait l’histoire est tirée d’une légende perse), Wilson justifie l’une de ses éternelles et habituelles esthétiques de l’immobile (issu du théâtre No comme si le bouillonnant Puccini avait un quelconque rapport avec ces notions) où les chanteurs sont transformés en marionnettes, bougeant de temps en temps une main, un bras, dans des gestes raides et volontairement peu naturels, sans jamais interagir entre eux.

Une version concert leur donnerait plus de liberté, c’est dire… Alignés en rangs d’oignons, ils s’évitent soigneusement, et s’efforcent de ne jamais paraitre éprouver quoique ce soit et surtout pas la colère, l’amour, la pitié, l’empathie, le désespoir, le courage, qui sont le propre des sentiments des personnages de chair et d’os que Puccini a conçus.

Outre la difficulté de l’exercice, il n’est guère convaincant et l’on s’ennuie ferme devant cette absence totale de jeu théâtrale en rapport avec le livret de l’opéra.

C’est « beau » certes, et offre d’ailleurs un contraste total et absolu avec les horreurs décrites dans les airs de l’opéra, mais l’esthétique magnifique ne porte pas l’action et son fil dramatique.


Pour une belle interprétation vocale

Côté interprétation, on saluera la beauté des chœurs fort sollicités dans cette œuvre et celle de la direction orchestrale vivante, colorée, de Michele Spotti, jeune chef à suivre absolument tant il a la belle dynamique que l’on apprécie tant chez Puccini.

Tamara Wilson campe une Turandot à la belle voix, aux subtiles nuances, aux très belles couleurs, son In questa reggia et surtout son duo avec Calaf,  Principessa di morte! Sont des merveilles d’interprétation vocale. Mais la mise en scène la contraint à jouer davantage la princesse de glace que la souveraine passionnée et agitée de sentiments totalement contradictoires qu’elle est en réalité. C’est encore pire pour le bouillonnant Calaf, interprété hier soir par le vétéran des ténors en exercice, Gregory Kunde, 70 ans et toute sa voix, ramené par Robert Wilson, à une sorte de pantin, agitant les bras de temps en temps et ne regardant surtout jamais la princesse dont il est tombé amoureux à en perdre la vie.

Là aussi, le ténor, peu ou pas du tout porté par la mise en scène, peine quelque peu à offrir les nuances lyriques nécessaires à son rôle dans le célèbre air non piangere Liu, tandis qu’il nous offre un Nessun Dorma royal mais tout en force et voit son timbre un peu grisonnant manquer parfois d’éclat dans le difficile duo final. Le couple vedette a été à juste titre ovationné, la performance était belle et courageuse.

Adrianna Gonzalez est une très jolie Liu (saluée chaleureusement elle aussi), même si la voix est un peu petite face aux deux monstres de puissance que sont Wilson et Kunde. Son Tu, che di gel sei cinta, était émouvant (seul réel moment d’émotion de la soirée), et fort bien interprété mais le traitement purement esthétique de sa mort, gâche un peu le propos dramatique de Puccini.

Le Timur de Mika Kares, basse que nous croisons régulièrement et avec satisfaction sur les scènes, a tout pour lui : noblesse du port, beauté du timbre, expressivité de l’interprétation malgré le statisme imposé et très belle présence.

Et saluons aussi les belles prestations des trois « bouffons » de l’empire, le magnifique Ping du baryton Florent Mbia en particulier, accompagné du Pang du ténor Maciej Kwaśnikowski et du Pong du ténor Nicholas Jones, eux aussi peu gâtés par la mise en scène même s'ils se tirent très bien de ce comique de répétition, note style comedia del arte au milieu des poupées chinoises. Sans oublier le petit rôle d’Altoum très bien tenu par le ténor Carlo Bosi.


Une soirée décevante malgré une belle distribution, du fait de ce contresens total de la mise en scène, pour un opéra qui est donné actuellement un peu partout en Europe et dont on espère des versions scéniques un peu plus intéressantes que celle proposée à l’Opéra de Paris. Sondra Radvanovsky se produit prochainement au San Carlo de Naples avec Yusif Eyvazov, tandis que Vienne propose en décembre le couple Asmik Grigorian (dans une prise de rôle) et Jonas Kaufmann, avec une probable retransmission. A suivre !



Crédits Agathe Poupeney OnP

 

 

 

 

 

 

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