English Songs, le récital de Lucile Richardot et Anne de Fornel, en hommage aux compositrices oubliées

English songs (Elles Women Composers)



16 novembre 2023 à l’amphithéâtre de la Philharmonie de Paris

Elles sont belles, lumineuses et manifestement heureuses de nous présenter ce programme original de « English songs » mis en musique par des compositrices, la plupart tombées dans l’oubli malgré la foison et l’originalité de leurs œuvres. L’amphithéâtre de la Philharmonie de Paris proposait une soirée originale et chaleureuse où Lucile Richardot, Anne de Fornel  et Sarah Nemtanu conjuguaient leurs talents pour notre plus grand bonheur.

 

La résurrection des femmes compositrices

Depuis quelques années, et grâce à des initiatives bienvenues comme celles d’Héloise Luzatti avec ce label « Elles - Women composers », qui revendique « un champ d’action à 360° pour pallier l’absence des femmes dans les programmations musicales aujourd’hui », l'on retrouve peu à peu l'oeuvre des compositrices.

De nombreuses manifestations ont été organisées avec succès pour réhabiliter ce gigantesque patrimoine (matrimoine ?). Le label La boite à Pépites avait ainsi organisé deux délicieux calendrier de l’Avent 2021 et 2022 que l’on peut encore découvrir sur leur site Youtube, présentant 15 compositrices « oubliées » et une de leurs œuvres interprétées par de jeunes artistes femmes. Une intégrale des œuvres de Charlotte Sohy est déjà parue et très récemment (voir notre article sur ce blog), le premier volume, celui des œuvres lyriques, d'une intégrale à venir des compositions de Rita Strohl.

Les initiatives fleurissent un peu partout au gré des festivals d’été et des récitals de rentrée, tel le récent concert inaugural de la saison européenne BNF-Radio France autour d’Hedwige Chrétien, interprété par Adèle Charvet, Renaud Capuçon, Xavier Phillips et Guillaume Bellom, le 30 octobre dernier. 

La mezzo-soprano Lucile Richardot et la pianiste musicologue Anne de Fornel , ont déjà collaboré ensemble dans cette recherche passionnées de partitions féminines oubliées qui permet d’exhumer de véritables joyaux qu’une société machiste et misogyne avait laissé s'enfouir dans le secret d’archives, de relire les partitions, d’en choisir les plus emblématiques, voire de les transcrire si nécessaire. Beaucoup de ces partitions ont été écrites pour voix de sopranos, précise ainsi la mezzo Lucile Richardot en présentant le travail effectué par les deux artistes pour nous permettre de découvrir les extraordinaires talents de Liza Lehmann, Ethel Barns, Rebecca Clarke, Ina Boyle et Régine Wieniawski, dite Poldowski.

 

Lucile, Anne, Sarah et les autres

Et le florilège proposé lors de cette soirée est composé de ces chansons en langue anglaise, souvent inspirées du folklore britannique ou irlandais, aux saveurs océanes et campagnardes, qui racontent la peine des femmes de marins, les amours déçues, les espoirs et les chagrins, émotion et passions mais aussi, petites pièces plus légères, humoristiques voire grinçantes ou insolentes qui créent une atmosphère délicieuse de contrastes permanents.

La plupart de ces petites merveilles sont écrites pour voix et piano mais certaines nous sont proposées pour voix et violon, et même pour voix, piano et violon et deux pièces purement instrumentales viennent avec bonheur donner une fantaisie supplémentaire au concert.

Lucile Richardot, avec sa verve habituelle et son bon sourire chaleureux, nous présente d’ailleurs la soirée après avoir chanté le mélancolique  « Breton Folk Song n°2 », aux consonances très marines et celtiques qui narre la tristesse de celle qui a perdu son amour en mer et dont la voix s’est éteinte. Et nous découvrons trois petites mélodies avec piano de cette Liza Lehmann, compositrice de la fin du 19ème siècle, soprano, dont l’œuvre la plus célèbre est le cycle « In a Persian Garden» et qui écrivit même un opéra. Suit le romantique « Evensong », bel hymne au soir qui tombe au bord de la mer, avec son petit côté suranné et mystique. Puis c’est l’un des beaux poèmes de son contemporain, l’écrivain irlandais William Butler Yeats, «The Lake Isle of Innisfree », que Liza Lehmann met en musique avec cette évidente inspiration musicale du folklore de l’ile, que Lucile Richardot nous interprète avec une sensibilité merveilleuse. Nous sommes plongés alors dans cette atmosphère très particulière des poèmes de Yeats qui ont la texture et la saveur des chansons populaires que les Irlandais aiment tant chanter dans la chaleur du feu de tourbe le soir à la veillée. Liza Lehmann a enveloppé ces beaux vers dans une composition simple et émouvante dont nos deux artistes font un grand moment d’émotion. Lucile Richardot, dont la voix est particulièrement riche et superbe dans le médium sollicité par la partition, mais à l’aise également pour le bel aigu tenu avant la dernière phrase murmurée, nous offre là un véritable petit bijou, tout en nuances. Et l’on ne peut que recommander à l’auditeur curieux de se contenter de savourer le magnifique texte anglais si difficile à traduire avec précision…La diction de Lucile Richardot est elle-même très poétique et se marie très bien avec le toucher délicat du piano d’Anne de Fornel.

Liza Lehman est particulièrement à l’honneur de cette première partie, puisque ce ne sont pas moins de quatre mélodies qui nous seront encore proposées avant l’entracte, le délicat hymne au soir et au mystère de la nuit prétexte pour une mère à recommander la sagesse et le respect des femmes à son fils avec une fièvre finale que les deux interprètes partagent avec le public sur une dernière longue note tenue puis quelques calmes sentences d’amour maternel, « By the Lake » . Ensuite le « You and I », en contraste parfait, est espiègle et enjoué, il chante l’amour joyeux avec entrain, le piano sautille, la voix s’amuse. Vient ensuite ce que les deux artistes considèrent comme leur coup de cœur commun, le « Good Morning, Brother Sunshine! », à nouveau une composition entrainante et animée (avec de forts beaux aigus !) Et quelques accords de piano introduisent le très évocateur « O, Tell Me, Nightingale », où il nous semble entendre les trilles du rossignol. Entre les œuvres de Liza Lehmann, on a pu écouter successivement le mélodieux « Sleep Weary Heart » de Ethel Barns, violoniste et compositrice du début du 20ème siècle, que les deux artistes avaient enregistré pour la Boite à pépites, et le délicieux petit récit, véritable histoire d’amour brisé en miniature, « Down by the Salley Gardens » de Rebecca Clarke, altiste et compositrice britannique, de l’entre-deux-guerres dont nous aurons la chance d’avoir un aperçu supplémentaire avec le très beau « Midsummer Moon », rhapsodie moderne pour violon et piano, où s’articulent différents thèmes exécutés par l’un ou l’autre instrument, et qui nous permet de découvrir le talent de Sarah Nemtanu.

 

Chant, violon, piano, ensemble et séparément

Le concert reprend après une courte pause, avec « Since Thou, O Fondest and Truest », sur un poème de Robert Bridges mis en musique par la compositrice irlandaise Ina Boyle, langoureux poème d’amour qui précède le fantastique Tango de Poldowski, danse pour violon et piano, pièce composée pour le violoniste virtuose Pawel Kochanski, brillamment exécutée par pianiste et violoniste.

La suite, les « Three Old English Songs » de Rebecca Clarke est également dansante sur un mode plus léger et plus folklorique comme ces airs que l’on entonne dans les fêtes de village avec ritournelle et violon parfois en mode pizzicato qui racontent de petites histoires. Et l’on apprécie le beau mariage entre le timbre chaud et velouté, l’agilité vocale de Lucile Richardot avec ses refrains admirablement scandés, et le jeu virtuose du violon.

Le folklore britannique est suivi par celui venu d’Irlande, sur le même mode opératoire, chansonnettes amusantes, vivantes et violon façon campagnarde (de la verte Irlande), notamment le « A Ballynure Ballad »  avec son refrain « With a my ring-doo-a-day/With a my ring-a-doo-a daddy o » où Lucile Richardot ponctue chaque syllabe avec conviction et arrache des rires et des ovations aux spectateurs ravis de la prestation.

 

Et nos artistes terminent leur show en revenant une nouvelle fois aux mélodies de Liza Lehmann, piano et voix, sur de beaux textes, en arpèges descendants mélancoliques pour le « Dusk in the valley », avec son doux final « So were it with me if forgetting could be will'd ». On note ensuite l’étonnant féminisme avant-gardiste teinté d’autodérision de « If no one even marries me ». Lucile Ricardot n’hésite pas à « jouer » la petite pièce, avec force mouvements de mains et mimiques évocatrices, sans jamais en faire de trop, mais en s’amusant de l’insolence de la jeune femme. Très étonnant aussi est ce « When I am dead, my dearest », sur un poème de Christina Rossetti, tissu de recommandations sur un mode tranquille pour celui qui survivra, où le piano reprend les thèmes du chant qui se termine par un mélancolique « Haply I may remember, And haply may forget.»

Enfin, last but not least, nos trois artistes complices se rassemblent pour exécuter ensemble le très joli et même tout à fait charmant «The Guardian Angel », la chanson d’un enfant qui se rassure le soir dans son lit et chante son ange gardien avec tendresse et poésie. Très beau final, très émouvant qui, à nouveau mérite l’ovation d’un public qui tente quelques rappels mais n’obtient finalement pas le « bis » espéré.

Un très beau programme, musicalement passionnant, très bien interprété, la seule légère fausse note étant sans doute cet incessant ballet des techniciens venus mettre ou retirer tel ou tel pupitre en fonction des instruments de chaque séquence, qui casse un peu l’unité de l’ensemble.

Mais ce concert, rare, inédit pour l’essentiel des morceaux choisis, était retransmis en direct sur le site de la Philharmonie de Paris. Notons également qu’il était entièrement surtitré, facilitant la compréhension de toutes et tous.



A réécouter sans modération

https://philharmoniedeparis.fr/fr/live/concert/1160010-english-songs


Visuel : © Jean-François Robert


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