Macbeth Underworld de Pascal Dusapin, une création très attendue, une très belle soirée à l'Opéra-Comique

Macbeth Underworld


De Pascal Dusapin, sur un livret de Frédéric Boyer, d’après Shakespeare.


Photos : Stefan Brion


Première du 6 novembre 2023 à l’Opéra-Comique

 

L’avant-dernier opéra de Pascal Dusapin aurait dû être créé en France à l’Opéra-Comique en mars 2020. Las, les restrictions COVID en ont décidé autrement, et ce n’est qu’en ce début du mois de novembre 2023, que nous avons la chance d’assister à cette Première, même s’il faut préciser que la création mondiale a bien eu lieu fin 2019 à la Monnaie de Bruxelles.

Et c’est toujours un plaisir que de voir une nouvelle (et belle) œuvre, signe du caractère bien vivant de l’art lyrique, et de sa modernité incontestable.

 

Shakespeare revisité : lorsque l’enfant ne parait pas

C’est sur la pièce de Shakespeare que s’appuie Dusapin pour sa conception musicale et dramatique, confiant le livret (en anglais) à la judicieuse réécriture à la fois moderne et fidèle de Frédéric Boyer et la mise en scène à un autre spécialiste du maître anglais, Thomas Jolly.

Le parti pris est tout à fait séduisant : l’ensemble des protagonistes du drame sont morts et contraints dans l’au-delà de revivre leurs destinées à la manière d’un cauchemar sans fin. Le fil que déroule Dusapin pour son œuvre se base sur une phrase de Lady Macbeth parlant d’un enfant qu’elle a allaitée et n’a pas pu garder. Cette incapacité d’avoir une progéniture et donc une descendance était, pour la couronne d’Angleterre, un obstacle à toute assise solide du pouvoir. Imaginer que l’absence de l’enfant désiré, scelle le destin de toutes et tous, permet de donner un rôle tout à fait étonnant et important sur le plan musical, à un « enfant », à la voix blanche, juvénile et sépulcrale à la fois, qui conduit en quelque sorte ses « parents » dans les méandres de l’enfer « underworld ».

Pour illustrer son choix, Dusapin compose une musique à l’acoustique naturelle, sans artifice électronique malgré les nombreux bruitages dont il pare sa descente aux tréfonds de l’âme humaine. Le style, assez épuré, repose sur une alliance des cordes et des cuivres avec de puissantes interventions des percussions. Mais les moments élégiaques et romantiques ne manquent pas pour autant, avec quelques solos d’archiluth (donnés depuis les coulisses) et un petit orchestre violonneux/flûtiste piccolo, qui joue sur scène à la manière des musiques de kiosque dans les parcs. Globalement, la composition suit de près les méandres de ce voyage au bout de l’enfer, avec de puissantes descentes orchestrales vers des graves profonds et sonores.

Et dès le Prologue c’est la voix de ténor de la déesse Hécate (Hecat), aux multiples pouvoirs et aux trois visages, qui annonce en récitant, le terrible sort des époux Macbeth condamnés à rejouer leur histoire. Les principales tessitures choisies sont plutôt dans le registre medium, comme en contrepoint avec l’orchestre : mezzo-soprano pour Lady, baryton pour Macbeth, soprano ou mezzo pour les trois sœurs bizarres (les sorcières de Verdi), ténor pour le double rôle d’Hecat et du Porter (le portier de l’enfer). La seule basse est le fantôme de Banco.

Le génie de Thomas Jolly

Le metteur en scène a été associé à l’ensemble du travail de composition dès le début et cela se voit dans la véritable synchronisation et la géniale osmose opérée entre son travail et celui de Dusapin. Les décors de Bruno de Lavenère, les costumes de Sylvette Dequest, les lumières de Antoine Travert, sont autant d’atouts dans la réussite incontestable de cette brillante représentation de l’enfer. On reconnait le style habituel de Jolly, notamment cette faculté de proposer une série presque infinie de tableaux différents par le simple changement de l’un ou l’autre accessoire, de l’un ou l’autre éclairage. C’était déjà le cas pour son récent Roméo et Juliette à Bastille. Là, dans la salle Favart au tout petit plateau sans coulisse, la réalisation de ces multiples facettes façon bande dessinée, est encore plus compliquée et l’on salut bien bas le beau travail réalisé par tous les techniciens durant la représentation.

Les symboles choisis sont simples et clairs. L’enfer comporte les arbres noueux et inquiétants des contes de fée et de sorcière, en parfaite relation avec les fameuses prédictions des sœurs bizarres, mais aussi avec la forêt de Birnam. Le système complexe d’escaliers où les protagonistes montent et descendent, s’entrecroise avec les arbres, se noue et se dénoue, dévoilant quelques symboles déchirants comme le petit cheval à bascule auquel l’enfant n’a jamais joué. Lit immense pour les amours et confidences du couple maudit, lavabo pour que Lady tente de retirer le sang de ses mains, table dressée pour le banquet avec spectre sortant de dessous la nappe blanche, personnages habillés de blanc façon spectres, lumières blanches puis rouges, rubans rouges pour le sang qui coule, poignard se promenant au bout d’une canne, autant d’effets, d’idées, de trouvailles, esthétiquement belles et chargées de sens.

Musicalement et théâtralement réussi

L’orchestre de l’Opéra de Lyon et les très beaux chœurs Accentus, sous la direction de Franck Ollu parvient sans peine à rendre justice à cette partition complexe offrant de superbes montées en puissance et ménageant les moments plus calmes avec subtilité. L’effectif important des percussionnistes ne se fait pas au détriment des autres instruments mais renforcent les effets dramatiques.

Les interprètes sont tous d’excellents chanteurs et acteurs dans cette œuvre où le théâtre est très représenté, ne serait-ce que par la richesse des dialogues ciselés par Boyer. Le héros, le baryton Jarrett Ott, que nous avions découvert avec plaisir dans la précédente création de l’Opéra-Comique, Breaking the waves, en mai dernier, est prodigieux en Macbeth d’abord fanfaron, vantard, sûr de lui et dont les fêlures vont peu à peu apparaitre avant sa destruction finale où il tombe à terre, vaincu.

La voix est chaude et puissante, le timbre magnifique, la projection et la diction parfaite. C’est une très belle composition où le baryton se montre parfaitement adéquat à la musique lyrique contemporaine et à ses thèmes de prédilection. Les exigences de sa partie avec d’importants sauts du grave à l’aigu, ne présentent aucune difficulté pour lui dont l’ambitus est considérable.

Bien qu’annoncée souffrante, Katarina Bradic lui donne la réplique avec aisance et efficacité. La tessiture est souvent tendue avec des écarts de notes importants mais la mezzo-soprano domine son sujet sans difficulté et nous offre également, une très belle incarnation de la reine, plus malheureuse que vraiment méchante, et surtout très amoureuse de son mari dans la conception développée par Dusapin.

Les trois « weird sisters », Maria Carla Pino Cury, Mélanie Boisvert et Mélissa Zgouridi, sont sarcastiques et grinçantes à souhait, dotées de grandes chevelures rousses et habillées de blanc, elles campent bien leurs rôles de prédicatrices du malheur, effrayantes et toutes puissantes, tout comme le portier puissant vocalement et à la présence scénique réjouissante de John Graham Hall, croqué façon Joker à chevelure rousse en trois mèches.

La basse Hiroshi Matsui est un Banco « fantôme » ensanglanté et accusateur, dont les graves abyssaux marquent la profondeur de ces lieux hantés d’outre-tombe.

Et c’est la jeune Rachel Masclet, membre de la Maitrise populaire de l’Opéra-Comique qui incarne l’enfant, de sa voix éthérée et merveilleuse.

Malgré une légère relâche de la tension (et donc de l’attention de l’auditoire) vers le milieu de ce bel opus, la soirée se déroule très agréablement dans cette atmosphère étrange et fascinante et les applaudissements très chaleureux qui saluent l’ensemble des protagonistes, y compris -une fois n’est pas coutume- le metteur en scène et son équipe, et bien sûr le grand Pascal Dusapin venu assister à sa Première, prouvent l’attrait d’un public plus jeune qu’à l’habitude, à ces œuvres du renouveau de l’opéra.





Commentaires

  1. Merci pour ce compte rendu, qui fait regretter de ne pas avoir pu y assister. ( Je me permets juste de signaler une coquille, je crois qu'il s'agit de la forêt de Birnam et non de Birnbaum)

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