Un vibrant plaidoyer universel pour la paix avec l’EIC et Patricia Kopatchinskaja

Eic & Friends : Patricia Kopatchinskaja : Une offrande à la paix



Samedi 25 Novembre 17:30

Cité de la musique - Salle des concerts

 

Très beau programme que celui de ce début de soirée à la salle des concerts de la Cité de la Musique : les solistes de l’Ensemble Intercontemporain se sont associés à la violoniste Patricia Kopatchinskaja, pour une série de créations mondiales autour du thème de la paix (O combien d’actualité), le tout solidement arrimé à une succession d’extraits de L'Offrande musicale de Jean-Sébastien Bach.

Une idée originale et au message puissant, qui confirme une fois encore, l’excellence de la formation musicale fondée par Pierre Boulez et aujourd’hui dirigée par Pierre Bleuse. `


 

Bach et l’art du contrepoint

Une foule silencieuse a envahi l’espace entre les gradins des spectateurs. Elle déambule dans l’obscurité sur fond de bruitages divers. Les projecteurs éclairent soudainement le clavecin installé sur une petite estrade au centre tandis que Patricia Kopatchinskaja apparait, violon tendu au-dessus de la tête comme une offrande. Elle joue quelques notes du thème initial de l’œuvre de Bach, celui que lui proposa le roi Frédéric II de Prusse en lui demandant d’improviser de multiples variations, puis le pianiste prend place pour exécuter le Ricercare à trois voix qui suit, cette forme de contrepoint qui exploite le thème initial pour le développer et en complexifier la trame.

Cette fameuse Offrande musicale est un chef-d’œuvre de l’art du contrepoint -fugue canonique, ricercare à trois et à six voix, sonate en trio- dont l’organiste et compositeur Bach, était le grand spécialiste.

Et c’est selon la même forme extrêmement variée, exécutés par des solistes de l’EIC à deux, trois, quatre ou plusieurs instrumentistes, que les compositions contemporaines, toutes en Première mondiale à part la dernière, sont présentées, intercalées entre les différentes parties de l’œuvre de Bach.

On saute ainsi sans cesse du XVIIIème siècle le plus novateur au XXIème siècle avec ses techniques son et lumière, sa mise en scène, sa chorégraphie la plus élaborée.

 

Guerre et Paix

Et le Ricercare inventif et obsédant est brutalement interrompu par le fracas de la guerre, bruits sourds et caverneux suivis de Morok de Anna Korsun, petite miniature formée de légère touches musicales à la flûte et clarinette (trilles), à la harpe (cordes frottées), au violon et au violoncelle (harmoniques), évoquant le chant distordu d’oiseaux émergeant difficilement du chaos. Un son de forte respiration succède au morceau tandis que l’on suit à l’aide d’un projecteur, le cheminement au milieu de la foule de la violoniste vers l’extrémité de la salle où trône un xylophone, pour la Fugue canonique de Bach, suite de son Offrande, magistralement exécutée par deux solistes de talent qui nous transmettent un sentiment de bonheur et de plénitude loin des affres de la guerre, moment magique. 

Nouvelle interruption tragique par le Quando sera finita de Lonardo Marino, variation pour orchestre de chambre, qui conduit nos regards et nos oreilles à l’autre bout de la salle. La foule silencieuse du parterre suit le mouvement. Là sous le balcon, trois instruments à vent et trois instruments à corde, évoquent par ce morceau parfois grinçant, scandé, angoissant, et en même temps teinté d’espoir, la lancinante question de la fin de la guerre. Le titre est tiré d’un roman de Beppe Fenoglio, Una questiona privata, qui se passe à la fin de la deuxième guerre mondiale. 

Sons simples pour gens ordinaires qui rêve de « l’été de la paix ».


Un spectacle complet

Des vidéos et des bruitages évocateurs complètent l’ensemble du concert qui suit une cohérence parfaite et permet de franchir sans problème, près de trois siècles de musique en un mouvement de foule et de projecteur, mettant en lumière à chaque morceau, un nouveau groupe d’instrumentistes situés aux quatre coins de la salle ou en son milieu.

On revient donc à Bach, comme entre chaque création mondiale, avec le Canon à quatre voix Quaeredo invenientis et cette fois, ce sont deux formations qui jouent en parallèle, donnant le relief nécessaire à cette écriture musicale virtuose où chaque instrument reprend le thème en léger décalage, le tout étant à nouveau brutalement interrompu par un hurlement de sirène accompagné de projections lumineuses trouant l’obscurité.

Et c’est au tour de la Boite de chocolats de Sara Glojnaric, œuvre pour trois instrumentistes, le violon agité de Patricia Kopatchinskaja, l’imposant trombone de Simon Philippeau et les percussions tenues de main de maitre par Gilles Durot qui semble vouloir contrôler toute cette agitation musicale pour finir sur une pulsation régulière. Le morceau évoque les petits chocolats signe de réconfort et de satisfaction dans la tourmente.


Remarquable inventivité des créations

Le Canon perpétuel de l’Offrande musicale, succède à son tour à cette boite agitée de soubresauts pour offrir une nouvelle fois l’incroyable inventivité contrapuntiste du Cantor de Leipzig, joué cette fois par un trio. Sur la dernière note, se déchaine sans transition les flûtes, clarinettes, trompettes et cordes du Girls and Panzer (les filles et les chars) de Clemens K. Thomas, œuvre pour neuf instrumentistes dirigés sous le balcon par Nicolo Umberto Foron. Etrange titre et belle composition, qui s’inspire d’un dessin animé japonais éponyme de 2012, mettant en scène une école de filles durant la deuxième guerre mondiale, où l’on apprend à conduire un char et à combattre avec ce véhicule symbole de la guerre. Le compositeur n’a pas écrit une œuvre « sur la guerre » mais sur la « consommation » de la guerre (actuelle) en Europe. Paroles chuchotées et taches de lumière éparses pour glisser vers le Canon n°5 à deux voix Super Thema Regium, où deux superbes xylophones donnent « réponse » à l’ensemble instrumental. 


« La guerre vide la vie de toute humanité » (Ubaldini)

Puis vient sans doute le moment le plus émouvant et surprenant du concert : cette voix qui lit l’histoire du lieutenant Henri Valentin Harduin, fusillé « pour l’exemple » en 1916, et son émouvante lettre « Je veux mourir en commandant le peloton d’exécution devant mes soldats qui pleurent », pour finir par un cri de révolte « Crie après ma mort contre la justice militaire ». Le silence est de rigueur durant la lecture et seulement, ensuite, commence le morceau de Blaise Ubaldini dont elle est partie prenante, Rusty song, violon, alto, contrebasse et trompette sous la houlette de la reine de la soirée, l’incroyable Patricia Kopatchinskaja, toujours très expressive et qui chante tout en jouant du violon. La guerre vide la vie de toute raison, de toute logique, de toute humanité, dit le compositeur, qui a repris le thème musical d’une berceuse datant de 1914 ainsi que les paroles du Wiegenlied de Schubert.


Et retour à Bach

Un très beau Canon n°1, à deux voix Super Thema Regium succède à cet épisode, joué par deux percussionnistes face à face dans un impressionnant duo.

Retour au centre de la salle de concert avec Flügeln Wund de PatKop, pièce pour violon et bande qui a été créé en octobre 2022. Les instrumentistes entament une ronde autour de Patricia Kopatchinskaja, bruitages, cris et chuchotements, accompagnent ce morceau douloureux, ces « ailes blessées » avant le final avec le Ricercare à six voix, joué sur clavier, que chacun écoute avec admiration et recueillement. La beauté à l’état pur.


Original, émouvant, magnifiquement interprété par les musiciens de l'Ensemble Intercontemporain, cette somme étonnante de créations et d’interprétations nouvelles d’une œuvre ancienne, remporte le suffrage d’un public très attentif et enthousiasmé. 


Photo de « Une » : Alexandra Muravyeva

Photos du concert : Quentin Chevrier


Retranmission en direct

https://philharmoniedeparis.fr/fr/live/concert/1160216-eic-friends-patricia-kopatchinskaja



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