Munich : du grand Mozart grâce aux artistes
Così fan tutte à Munich, bravo aux chanteurs !
Séance du 27 avril 2024, Opéra de Munich
Crédit photos Willfried Hösl.
Louise Alder (Fiordiligi), Avery Amereau (Dorabella), Sandrine Piau (Despina), Konstantin Krimmel (Guglielmo), Bogdan Volkov (Ferrando), Johannes Martin Kränzle (Don Alfonso)
Bayerisches Staatsorchester, Stefano Montanari (direction musicale)
Benedict Andrews (mise en scène), Magda Willi (décors), Victoria Behr (costumes.
Les opéras de Mozart ont une place de choix à Munich et Cosi Fan Tutte est une véritable institution. Depuis 1993, c’était la mise en scène de Dieter Dorn (et du fabuleux scénographe, Jurgen Rose), qui était reprise très régulièrement dans la capitale bavaroise.
J’avais salué alors une mise en scène très inventive et très moderne, qui créait intelligemment un cadre jubilatoire à l’une des œuvres particulièrement difficiles à éclairer et à laquelle tant de grands metteurs en scène se sont confrontés.
Cosi fan tutte ou « l’école des amants » comporte en effet un fil théâtral assez invraisemblable qui autorise toutes sortes d’interprétation : est-ce imaginable que des jeunes filles ne reconnaissent pas leurs maris quand ceux-ci leur apparaissent déguisés et qu’elles se laissent abuser par la plaisanterie à laquelle ils se livrent sous l’instigation de Don Alfonso ? Ou sont-elles elles-mêmes (secrètement voire inconsciemment) tentées par l’aventure de l’échange ?
En tout état de cause, et quelle que soit l’interprétation moderne qui essaye en général d’éviter la misogynie présentant la légèreté voire la bêtise des deux jeunes femmes, il faut garder le côté « buffa » et surtout la poésie et le charme sensuel du livret de Da Ponte associé à l’une des plus belles partitions de Mozart, époustouflante de virtuosité vocale.
Or de ce point de vue, le cinéaste et metteur en scène australien Benedict Andrews, qui a récemment mis en scène une Dame de Pique à Munich guère convaincante, et a créé cette nouvelle production en 2022, ne brille ni par les bonnes idées ni par le bon goût.
Cette délicieuse et légère comédie se trouve littéralement engluée dans la trivialité du « désir » sexuel ramené à sa dimension la plus primaire, assez éloignée des intentions vaudevillesques des auteur de l’œuvre.
Tous les poncifs du genre sont alors maniés surtout lors des premiers tableaux de l’acte 1 : les romantiques échanges entre Ferrando et Guglielmo sur leur bonheur dans le mariage et leur confiances dans l’honnêteté de leurs compagnes, se situent dans un réduit avec matelas au sol, d’une propreté douteuse correspondant à son usage, puisque durant l’ouverture, Don Alfonso s’y livre à quelques ébats SM avec une prostituée. Les deux jeunes gens simulent d’ailleurs toutes les postures du sexe en utilisant ostensiblement les instruments des plaisirs de Don Alfonso annulant presque automatiquement le caractère romantique de ce que chantent les artistes.
Et tout est à l’avenant, puisque le désespoir des jeunes femmes apprenant le (faux) départ de leurs amants pour la guerre, se situe dans le garage de leur villa, où Despina astique une BMW, dans laquelle elles vont tenter un suicide grotesque et hors-sujet.
Et l’on passe brutalement à une exubérance fleurie quand la scène se couvre de lauriers roses, en total contraste avec la laideur volontaire des décors précédents, sans perdre pour autant de vue les accessoires fétiches que sont le matelas taché et tristement évocateur.
De la même manière lors du tableau final, on retournera dans cette petite pièce du début, le rideau (sale) du fond aura disparu dévoilant un mur où s’étale un gigantesque et obscène dessin.
L’on constate simplement que cette sexualité exacerbée étouffe en quelque sorte toute la sensualité que contiennent ces premiers émois de tout jeunes gens pris dans la tourmente des doutes dans les premières relations.
Et le fait d’avoir construit l’ensemble de la scénographie avec la présence à des tailles et dans des matériaux divers, du château de la Belle au bois dormant de Walt Disney, rend le propos encore plus ambigu. Ce sont donc des enfants piégés dans une sexualité qu’ils ne désirent pas ? Ou n’est-ce qu’une manière de ramener les deux jeunes femmes à leur enfance et à leurs rêves dont elles ne seraient pas sorties ? Ainsi passent-elles du petit château où elles logent leurs poupées Barbie à l’énorme château gonflable où elles se réfugient pour rêver sans que le sens en soit totalement éclairci, sauf sous la forme un peu brutale : finis les rêves d’enfance, il faut faire face à la trivialité d’aujourd’hui.
Heureusement, outre quelques belles scènes, le jeu des costumes est assez plaisant, avec ce contraste entre les « méchants » (Don Alfonso, Despina) en noir et les « gentils » (tout est relatif), habillés de belles couleurs claires et de vêtements seyants et plaisants surtout en « albanais » où ils arborent des chemises à fleurs très décontractées.
Une fois passée la déception du caractère outré et hors sujet de la mise en scène, la « qualité Munich » prend le dessus et l’on rit (et sourit) beaucoup. Cela tient d’abord à une direction d’acteur très efficace qui voit chacun et chacune, jouer magnifiquement sa « partie » tout en incarnant parfaitement ces personnages, très jeunes ou moins jeunes, mais tous parfaitement à leur place, tels qu’on les imagine. Il parait aujourd’hui inimaginable de distribuer Cosi fan tutte à des chanteurs d’âge mûr tant il regorge désormais de magnifiques jeunes mozartiens qui excellent dans les difficiles exercices vocaux, l’œuvre comportant son lot d’Arias solistes, de duos, de quatuor et même de sextuor célèbres. Car l’on vient toujours voir Cosi Fan Tutte pour admirer cette maitrise incroyable de Mozart dans l’art des « ensembles » où chacun chante sa propre partition dans une harmonie recherchée et fascinante, tel que splendide sextuor « « Alla bella Despinetta » ou les époustouflants « finale » de chacun des deux actes.
La soprano britannique Louise Alder est une délicieuse Fiordiligi, aux aigus souverains, qui, dans Mozart a déjà chanté Suzanna et Zerbina, mais qui possède un répertoire très varié. Les trilles et autres vocalises sont légères et agréables : son « Come scoglio » sur le capot de la voiture est diablement sensuel et son « Ei parte... Per pietà » superbe la soprano campe un personnage très séduisant dont l’évolution psychologique, les doutes et les passions, sont très bien exprimés, autant par le « jeu » scénique que par les couleurs dont elle pare son chant.
Avery Amereau en Dorabella, a également ses moments prestigieux très bien tenus, ses phrasés sont agréables, son timbre très harmonieux et sa technique irréprochable. Et son charme personnel fait merveille dans ce beau personnage. Leurs duos sont également de très grands moments musicaux où le génie de Mozart est admirablement servi. Leurs voix se ressemblent beaucoup et il n’est pas évident de les distinguer l’une de l’autre ce qui renforce le côté « gémellité » des deux femmes de manière assez troublante d’autant qu’elles portent des robes et des chevelures également similaires.
Concernant les deux garçons, le Gulielmo de Konstantin Krimmel, membre de la troupe munichoise et baryton de plus en plus remarqué, s’impose assez rapidement sur la scène munichoise d’une voix très mozartienne qu’on apprécie toujours beaucoup, d’autant que son extrême musicalité et sa belle technique lui permet de donner des nuances et des couleurs très riches. Scéniquement, il est parfait, regard sombre et séducteur, se prenant au jeu au départ mais peu à peu pris de doutes sur les conséquences imprévues d’un pari raté. Son comparse Bogdan Volkov est un Ferrando brillant, aux aigus veloutés. Son « Una aura amorosa » est magnifique et heureusement, la mise en scène ne fait pas d’ombre à cette aria lyrique et incontestablement très romantique, assez éloignée des visions obsessionnelles du réalisateur.
Johannes Martin Kränzle campe un Don Alfonso particulièrement « senior libidineux » à la limite de la caricature, se fondant parfaitement dans la mise en scène. On ne saurait le lui reprocher et il chante très bien mais le personnage restera foncièrement antipathique.
Les prestations de Sandrine Piau (Despina) ont gardé tout leur mordant et la mezzo est très à l’aise dans tous ses airs, solo, en duo, « tutti », dont Cosi regorge surtout quand l’ensemble est donné san coupure, avec tous les récitatifs et toutes les reprises. C’est un rôle en or puisqu’elle est le bras armé en quelque sorte d’Alfonso, elle se déguise pour les besoins du « scénario » diabolique imaginé pour confondre les deux sœurs, en médecin puis en notaire, avec toujours autant de bonheur et d’efficacité et quand elle chante le splendide « Una donna a quindici anni », on réalise qu’elle donne des leçons à des gamines de quinze ans sur ce qu’elles devraient savoir.
Et les excellents chœurs sont judicieusement placés hors la scène dans les loges au-dessus de la fosse. Stefano Montanari dirige le toujours excellent orchestre de l’opéra de Bavière, en formation « baroque » avec pianoforte pour le « continuo » durant les nombreux récitatifs de l’œuvre. Le dialogue musical avec les chanteurs et le soutien à leurs performances est constant et permet d’arriver à des sommets de fusion entre voix et instruments parfaitement maitrisée. Spécialiste de la musique de chambre, il a également très souvent dirigé à Mozart à Munich et sa battue régulière, aux tempi plutôt rapides, n’appelle que des éloges, d’autant plus que la partition est donnée dans son intégralité et qu’elle s’écoute avec délice d’un bout à l’autre ainsi valorisée sans les excès courants désormais, des orchestres trop gros ou qui brillent pour eux-même indépendamment des voix.
Au final on passe une bonne soirée malgré une mise en scène très discutable quant à son sens et l’atmosphère qu’elle veut créer, grâce à la jeunesse, au talent des chanteurs, et à l‘adéquation à leurs rôles, à leur entrain communicatif sous la baguette d’un chef attentif.
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