Munich : un « Macbeth » plein de « bruit et de fureur » servi par des voix magnifiques
Le sombre drame de Verdi, illustré par la vision macabre de Martin Kušej, empruntée aux films d’horreur, ne laisse personne indifférent : force de la musique instrumentale, des chœurs obsédants des sorcières, des personnages hauts en couleur, ce Macbeth vous marque d’une empreinte indélébile. Dommage qu’une étrange conception du « découpage » scénique conduise à de trop nombreux « jetés de rideau » qui nuisent à la cohérence dramatique.
De Shakespeare à Verdi
L’une des citations les plus célèbres de Shakespeare est partie prenante du désespoir du Macbeth de Verdi quand il comprend qu’il a tout perdu : « La vie n'est qu'une ombre qui passe, un pauvre acteur qui se pavane et s'agite durant son heure sur la scène et qu'ensuite on n'entend plus. C'est une histoire dite par un idiot, pleine de bruit et de fureur, et qui ne signifie rien ».
Pour l’opéra de Munich, cette mise en scène de Martin Kušej qui a fait scandale à sa création en 2007 au début du mandat de Nikolaus Bachler, fait désormais partie du répertoire régulièrement repris à chaque saison. Autant dire qu’elle a vu passer de nombreux titulaires des rôles principaux, parmi lesquels on citera la prise de rôle remarquée d’Anna Netrebko en 2014, alors accompagnée du remarquable Macbeth de Simon Keenlyside que l’on ne voit plus guère sur les grandes scènes.
L’œuvre de Verdi sur un livret de Francesco Maria Piave, est aussi sombre, tourmentée et désespérée que la pièce éponyme de Shakespeare : un personnage dévoré d’ambition et sous l’influence de sa femme sans scrupule, accède au pouvoir en assassinant Duncan le roi d’Ecosse. Obsédé par les prévisions de sinistres sorcières, il poursuivra son œuvre criminelle tandis qu’envahi par le doute, il sombre dans la folie, avant d’être vaincu par Macduff et Macolm et éliminé.
Tout est noir dans le récit, pas une seule petite histoire d’amour ne vient l’éclairer et pourtant, c’est sans doute l’un des récits les mieux construits, les plus émouvants dans la dramaturgie verdienne, l’un de ses plus beaux opéras qui inspire en général les hommes de théâtre tant les scènes qui se succèdent s’y prêtent volontiers.
Crânes, fantômes, symboles et damnés
Martin Kušej à son habitude, offre une vision noire et déstructurée du drame. Les accessoires récurrents symbolisent le contraste absolu entre la richesse et la royauté (un immense lustre toujours présent et peu à peu envahissant) et la misère et la pauvreté (une petite tente au premier plan). L’horreur des crimes de Macbeth et de la mort qu’il sème sur son chemin est représentée par un monceau de crânes blancs qui recouvre le sol. On verra aussi des corps torturés, des foules prises de démangeaisons, et d’autres images évocatrices qui n’apportent pas grand-chose à l’histoire. Enfin les sorcières (chantées par des chœurs depuis les côtés) qui hantent les pensées malades de Macbeth ressemblent aux enfants blonds mystérieux et sataniques du « Village des damnés » ce film d’anticipation en noir et blanc du réalisateur britannique Wolf Rilla sorti en 1960.
Quand Macbeth commence à être pris de visions, les enfants prennent tous les longs cheveux et la barbe de Banquo mort assassiné.
Il n’y a aucune scène de joie dans l’opéra de Verdi, le banquet lui-même étant gâché par la folie du nouveau roi et les obsessions de son épouse.
De ce point de vue, sans aucune concession, Kušej suit la dramatisation fatale d’un bout à l’autre. Dommage qu’il ait cru nécessaire de ménager une série interminable de « jetés de rideau » au milieu des actes, cassant régulièrement le fil dramatique par ces silences lourds et souvent longs à la fin de chaque scène empêchant l’orchestre d’enchainer.
Une distribution où l’on découvre l’éblouissante Anastasia Bartoli
Remarquée par le public et les critiques dans ce même rôle en 2022 à l’opéra de Marseille, Anastasia Bartoli brille à nouveau dans le pyrotechnique rôle-titre du rare Ermione de Rossini l’été dernier au Festival de Pesaro. Colorature dramatique, la jeune soprano -qui est la fille de Cecilia Gasdia et non, comme on pourrait le croire, de Cecilia Bartoli- a tout pour elle : la précision d’un phrasé impeccable, la justesse irréprochable d’une prestation brillante, une projection vocale insolente, des vocalises étourdissantes, toutes les ornementations du beau chant belcantiste, aigus et suraigus dans tous les modes (du forte ou pianissimo), bref de quoi incarner une parfaite Lady, venimeuse et mordante, sans la moindre vulgarité ni dans le timbre ni dans le style. Et comme elle respire l’émotion à fleur de peau, on croit d’entrée de jeu à sa cruelle lady, dont les humeurs nées d’une frustration, vont de folie en folie. Dès son premier grand air « Vieni t'affretta » où de nombreuses sopranos trébuchent sur l’ampleur des écarts de notes, Anastasia Bartoli est à l’aise, chante toutes les notes, éblouit par sa technique mais aussi par le charisme qui se dégage d’une prestation personnelle très riche qui se confirmera tout au long de la soirée et jusqu’au miraculeux « Una macchia è qui tuttora ! ».
Le timbre lui-même est une signature originale qui lui est propre, avec quelque chose de la Callas dans l’âpreté d’un timbre pas forcément des plus beaux abstraitement parlant, mais certainement de ceux qui marquent les esprits par leur mordant. Ce qui convient totalement d’ailleurs au rôle de lady qui n’est pas une romantique amoureuse mais une femme dévorée d’ambition et cruelle.
On l’imagine avec un plaisir gourmand en Odabella (Attila) ou en Abigaïl (Nabucco) dans tous ces rôles de sopranos à la fois colorature et dramatique où une voix trop légère ne convient pas.
L’étonnant et percutant Macduff de Jonathan Tetelman
Si Anastasia Bartoli a encore besoin de se faire un prénom, le ténor Jonathan Tetelman, lui, a déjà acquis une notoriété, notamment grâce à deux enregistrements très médiatisés par Deutsche Grammophon qui en a fait son poulain. Remarqué d’abord dans le rare Francesca da Rimini de Zandonai à Berlin en 2019 avec un Paolo le bello impressionnant d’engagement, il conquiert le public (et les critiques) en quelques rôles emblématiques « classiques » du ténor lyrico-spinto, dont Cavaradossi et Rodolfo. Avec ce deuxième Macduff (Tetelmann fait une prise de rôle impressionnante l’été dernier dans le Macbeth mis en scène par Warlikowski à Salzbourg), il confirme qu’il a décidé de marquer aussi les rôles verdiens de son empreinte et de son style. Car son Macduff n’est pas exactement classique. Le grand air du noble écossais « Ah, la paterna mano » est un « tube » pour ténor lyrique. Autant dire que tous les ténors le chantent dans des styles généralement très lyriques et souvent sans grand rapport avec ce que dit le héros dans ce morceau où sourde la colère et le désir de vengeance. Et c’est ce que Tetelman, grande voix, aigus puissants et bien projetés, exprime parfaitement. Sans souci de faire de l’effet, le ténor incarne son rôle avec une fièvre contagieuse et récolte une ovation appuyée et méritée pour cette très brillante et très réaliste interprétation.
C’est assurément un ténor à suivre dans ses futures prises de rôle, notamment celle de Don Carlo prochainement à Berlin où il se frottera à une partition plus longue et plus complexe dans laquelle nous serons curieux de le découvrir.
Les valeurs sûres
Mais le reste du plateau est à l’image des traditions munichoises, de très très bonne qualité même s’il s’agit de chanteurs plus âgés et plus expérimentés. Le Macbeth de Gerald Finley est un être tourmenté qui souffre et son bouleversant « Pietà, rispetto, amore » final, exprime merveilleusement le désarroi d’un assassin désorienté et vaincu. La prestation manquait parfois un peu d’homogénéité et la projection du baryton est par moment insuffisante, surtout aux côtés de la volcanique Anastasia Bartoli. On ne boudera pas notre plaisir pour autant devant un beau Macbeth.
Le Banco de Dmitry Ulyanov est très impressionnant de tous les points de vue : belle projection, voix chaude et puissante, timbre fort et lumineux, sa présence physique imposante complète un portrait très bien brossé.
Le Malcolm de Granit Musliu, ténor de la troupe de Munich que nous avons vu dans toute une série de rôles secondaires ces dernières années, est valeureux, bien chantant, lumineux et son duo avec Macduff, particulièrement excitant.
Et comme toujours, la troupe de Munich se montre à la hauteur pour assurer tous les petits rôles avec talent.
Les chœurs, très sollicités dans les opéras de Verdi, assurent brillamment les prédictions successives des sorcières, dès « Che faceste ? » qui ouvre l’opéra, tout comme le « Vittoria » chant de gloire et de réjouissance du final.
Quant à l’orchestre sous la direction de Andrea Battistoni, originaire de Vérone et souvent présent à Munich, il offre une prestation dont la progression dramatique souffre un peu des arrêts de jeu imposés par la mise en scène. Néanmoins, depuis une ouverture assez lente, le chef insuffle peu à peu une véritable dynamique, dans une accélération progressive qui ne gomme pas les passages calmes, les solos instrumentaux et les arias des artistes mais assure le mordant des scènes les plus sanglantes et tragiques.
La salle a réservé ses plus grandes ovations aux deux jeunes artistes qu’elle voyait pour la première fois, Anastasia Bartoli et Jonathan Tetelman, pour leurs prestations remarquables.
Distribution du 14 décembre 2024
Direction musicale : Andrea Battistoni
Mise en scène : Martin Kušej
Décor : Martin Zehetgruber
Costumes : Werner Fritz
Macbeth: Gerald Finley
Banco : Dmitry Ulyanov
Lady Macbeth : Anastasia Bartoli
Dama di Lady Macbeth : Elene Gvritishvili
Macduff : Jonathan Tetelman
Malcolm : Granit Musliu
Arzt : Martin Snell
Diener : Christian Rieger
Mörder : Christian Rieger
Bayerisches Staatsorchester
Bayerischer Staatsopernchor
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