Le triomphe de Jonas Kaufmann à Hambourg dans Carmen

Carmen



de Georges Bizet

Mise en scène: Jens-Daniel Herzog
Direction musicale : Pier Giorgio Morandi

Carmen : Clementine Margaine
Don José : Jonas Kaufmann
Micaëla : Ruzan Mantashyan
Escamillo : Alexander Vinogradov
Remendado : Ziad Nehme
Dancaïro : Viktor Rud
Zuniga : Florian Spiess
Moralès : Zak Kariithi
Frasquita : Katharina Konradi
Mercédès : Marta Swiderska

Choeurs d'enfants : Alsterspatzen – Kinderchor der Hamburgischen Staatsoper
Choeurs du Hamburgischen Staatsoper
Philharmonisches Staatsorchester Hamburg

Séance du 16 avril, dernière de cette production à Hambourg.
Standing ovation, une "fleur" à se damner, final torride par fusion totale entre Clémentine Margaine et Jonas Kaufmann, rite du bouquet rouge (inauguré à Londres) encore ce soir pour Jonas Kaufmann, tel est le résumé d’une bien belle soirée sublimée par ses interprètes.

Comme souvent dans Carmen, un final impressionnant entre les deux personnages principaux, permet de garder un bon souvenir surtout quand ce Don José et cette Carmen ont le charisme nécessaires et n'hésitent pas à donner du beau son en même temps qu'une véritable scène d'affrontement tragique. 
L’alchimie entre le Don José désormais archi-connu de Jonas Kaufmann et la Carmen de plus en plus célèbre de Clémentine Margaine, a mis quelques minutes à opérer pour susciter déjà de fortes émotions dans le public à la fin de l'acte 2 et culminer, comme il se doit, lors du crime et de cet échange fabuleux "c’est toi, c’est moi". 
Ce qui, pour une première fois, est la marque des grands. 
Ce, d’autant plus, que les temps de répétition avaient été forcément très courts.
Jonas Kaufmann était arrivé la veille (il chantait encore Alvaro à Londres le 12 avril), il connait bien le rôle mais devait assimiler la mise en scène et les duos avec ses partenaires, Carmen, Escamillo et Micaela. Clémentine Margaine faisait ses débuts à Hambourg avec cette Carmen. Même s'ils sont l'un et l'autre rompus à l'interprétation de ces rôles, l'exercice n'était pas forcément évident.

Si on ajoute le fait que orchestre et chef (Pier Giorgio Morandi) n'étaient pas au top, c'est le moins qu'on puisse dire, beaucoup de la réussite de cette Carmen dépendait des artistes eux-même, souvent livrés à eux-même, et peu encouragés musicalement par un rythme lent et sans contraste, un orchestre sans couleur et une mise en scène très, très pauvrement inspirée de Bieito sans le génie de ce dernier.
La seule scène vraiment impressionnante et réussie par Herzog, est celle des cartes, dans la montagne à l’acte 3, quand Carmen chante sa plus belle pièce ("la Mort") avec ces graves abyssaux et glaçants que possède Clémentine Margaine: elle est agenouillée face au public, la pénombre envahit la scène et du fond de celle-ci, Don José s'avance à pas lents, progressivement seul est éclairé le visage de Kaufmann qui possède alors comme personne, toute la beauté du diable tandis que Carmen répète "La mort"...
Mais, malgré ces limites, les artistes ont globalement assuré comme on dit, manifestement tous progressivement entrainés dans la dynamique du succès, au fur et à mesure que Margaine-Carmen et Kaufmann-Don José, montaient littéralement en charge, dynamisant le plateau par leur seule présence et leur immense talent.
Clémentine Margaine est une Carmen de feu, moins à l'aise dans "L'oiseau" et toutes les scènes de l'acte 1, elle se révèle à son zénith dès que Carmen devient davantage tragique. Sa sensualité transparait dans sa voix alors magnifique, la richesse de son médium et de son grave sont impressionnants et son chant prend mille couleurs qu'elle a davantage de mal à faire sortir dans les aigus et dans les ritournelles plus légères.
Le personnage prend aussi tout son sens, celui d'une fille libre et insolente, qui marche vers son destin crânement, pour rester libre quoiqu'il arrive et osera s'affronter à Don José que la jalousie a rendu dangereux, en sachant qu'il est "la mort".
Depuis Paris Bastille où je l'avais vue il y a deux ans dans la mise en scène de Bieito, elle a pris beaucoup d'assurance et a peaufiné son personnage.
Remarquable actrice, elle fait la paire avec Kaufmann et leur complicité rieuse à l'issue de la représentation, face à la standings ovation et aux incessants rappels du public, augure bien a priori de leur future collaboration lors de la tournée prévue en juin 2020.
Lui incarne le même Don José que la première fois que je l'ai vu, celui du ROH en 2007, avec Anna-Caterina Antonacci. Un Don José brave garçon un peu naïf pas très à sa place au milieu de l'agitation sévilloise des andalous, un peu mis à mal par leurs jeux et leurs moqueries, qui a peur des femmes et qui sera littéralement métamorphosé par sa rencontre avec Carmen.
Belle performance vocale pour un ténor, décidément très en forme, du duo tout doux avec Micaela ("Ma mère, je la vois"), à la "Fleur (que tu m'avais jetée)" qui signe l'évolution du personnage et où il met, comme d'habitude, la salle à genoux, par son infini sens des nuances absolument bouleversant, à son duo décidé et bien scandé lors du combat de '"navaja" avec Escamillo, pour finir par le final qui, lui, même reste très personnel et représente sa signature du personnage puisqu'il le chante en exprimant colère, peine, et soif de vengeance, sans jamais crier, en gardant une maitrise de la voix et des nuances qui ponctuent ses hésitations et ses dernières tentatives pour éviter le pire ("Carmen il est temps encore..."). Sa diction dans ce rôle est parfaite, précise, sans doute la meilleure sur le plateau.  Infatigable interprète, creusant la psychologie des personnages, Kaufmann nous étonne toujours et encore : après l’avoir vu en moins de trois mois, successivement dans ces Lieder magnifiques de Mahler (Das Lied von des Erde), Fidelio, La Forza del destino, on peut mesurer à quel point l’artiste a de cordes à son arc et de couleurs dans sa palette. Sans jamais se départir de cette qualité suprême de la technique mise au service de la recherche d’émotions.

La Micaela de Ruzan Mantashyan est parfaite à l'acte 1 mais les aigus de son plus bel air (« Je dis que rien ne m'épouvante ») à l'acte 3 sont un peu "criards" malheureusement et surtout, sa diction en français, parfaite chez Kaufmann et bonne en moyenne chez Margaine, est vraiment à la peine... Elle incarne par contre très bien le personnage, son allure très jeune et très sage correspond tout à fait à l'idée que l'on s'en fait et on la sent très investie dans le rôle. Le timbre est de toute beauté dans les parties cantabile de son chant et, malgré l'émotion perceptible de la jeune artiste, elle a réussi son interprétation dans cette cour de "Grands". 

L'Escamillo de Alexandre Vinogradov est de haut niveau, bien chanté dans l'ensemble même si je lui trouve moins de charme dans le timbre qu'il y a quelques années, bien joué (même si la mise en scène ne lui donne aucune poésie sauf lors de la scène finale). Il a l’allure que l’on prête normalement au torero et, là aussi, l’entente avec ses partenaires est impressionnante. C’est fluide et parfait.

Seconds rôles réussis également notamment la Frasquita de Katharina Konradi et la Mercédès de Marta Swiderska (vraiment copiées sur les copines marrantes de Bieito). J'avais déjà apprécié la première deux jours avant en Marzelina. Une très jolie voix et beaucoup de présence sur scène.
Choeurs pas toujours faciles à comprendre et parfois en décalage avec le chef, choeurs d'enfants pas très dynamiques, là non plus on ne donnait pas dans le grand luxe qu'aurait mérité la distribution de solistes.

Mais ne boudons pas notre plaisir ! Sans être une soirée parfaite, c'était une soirée de beau chant et de belle confrontation musicale d’immenses talents. 
Dommage que, décidément, orchestre, chefs et choeurs, ne me paraissent pas vraiment à la hauteur d'un opéra de ce rang en Allemagne.

Standing ovation d'un public content d'avoir de telles stars. 
Jonas Kaufmann est salué comme LE héros de la soirée et ratant la réception du bouquets de roses rouges qu'un fan lui lance désormais depuis le parterre à chacune de ses apparitions, tous les artistes très applaudis, tradition munichoise des rappels interminables transposée à Hambourg pour un soir. Un soir de grand bonheur !
 A noter : Jonas Kaufmann a souvent chanté Don José, avec beaucoup de partenaires (Anna-Caterina Antonacci, Kate Aldrich, Elina Garança, Magadalena Kozena, Vassiliva Kasarova, Anita Rachvelishvili...) mais avec Clémentine Margaine, c'était une Première qui... aura des "suites" en quelque sorte puisqu'ils feront ensemble la tournée de concerts de juin 2020 (à la Philharmonie pour Paris), avec l'annonce actuelle du programme suivant :
Opera arias de Georges Bizet, Charles Gounod, Fromental Halévy et Jules Massenet.

Remarque : j'avais décidé d'aller voir successivement Carmen à Paris Bastille avec le couple Alagna-Rachvelishvili le 11 avril puis à Hambourg avec le couple Kaufmann-Margaine le 16 avril, non pour établir de comparaisons à proprement parler mais pour voir ce que donnait le croisement des partenaires puisque j'ai déjà vu Alagna avec Margaine et Kaufmann avec Rachvelishvili. La proximité des dates rendait l'expérience d'autant plus intéressante. Mais Alagna, malade, n'a finalement pas pu assurer cette reprise.

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