L'Orfeo, aux racines de l'opéra avec Emiliano Gonzalez Toro au Théâtre des champs Elysées

L’Orfeo


Claudio Monteverdi

Favola musica en un prologue et cinq actes- 1607 -
Livret de Alessandro Striggio.

Emiliano Gonzalez-Toro Orfeo
Giulia Semenzato Euridice / Musica
Mathias Vidal Pastore
David Szigetvari Pastore
Fulvio Bettini Apollo
Eva Zaïcik Pastore / La Speranza
Mathilde Etienne Proserpina
Frédéric Caton Plutone / Pastore
Lea Desandre La Messagiera
Jérôme Varnier Pastore / Caronte
Maud Gnidzaz Ninfa

Emiliano Gonzalez-Toro direction 
Thomas Dunford luth et direction
I Gemelli
Mathilde Etienne mise en espace 
Karine Godier, Sébastien Blondin costumes 


Soirée du 28 mai 2019 au théâtre des champs Elysées

Je trouve toujours émouvant d'entendre l'une de ces oeuvres qui marquent les débuts de l'opéra. Le spectateur s'il est un peu musicien, se sent soudain une âme d'archéologue découvrant pierre après pierre, les fondations d'un nouveau monde. Celui de l'art lyrique, monde o combien exaltant pour les passionnés que nous sommes, a commencé en ces années du Seicento italien. L'Orfeo de Monteverdi date de 1607, l'Euridice de Jacopo Peri l'a précédé de peu, un nouveau genre est né qui connaitra des étapes décisives, des évolutions souterraines ou explosives selon les époques et aura, jusqu'à présent, traversé quatre siècles abordant le deuxième millénaire en assez bonne forme, tant dans la redécouverte de ses origines que dans la création contemporaine. La favola d’Orfeo, opéra en cinq actes de Claudio Monteverdi, est représenté à la cour de Vincent de Gonzague, à Mantoue en 1607. D’emblée, il va bien plus loin que Jacopo Peri dans l’art mélodique, dans la puissance de l’expression.
Comme l'explique brillamment le ténor Emiliano Gonzalez-Toro (1) cheville ouvrière avec ses amis, de cette belle soirée d'amoureux du baroque authentique, les oeuvres de cette époque, étaient composées collectivement : le librettiste était volontiers instrumentiste et chanteur, le chanteur savait aussi composer des ajouts et des variations à sa propre partition, le compositeur jouait d'un instrument tout en écrivant sa musique. Pour formelles qu'étaient ses oeuvres qui se situaient dans un cadre précis, il y avait beaucoup d'improvisation collective au cours même de la création. Deux ruptures font d'Orfeo une oeuvre différente des madrigaux en vogue dans la période précédente : ce n'est plus une oeuvre religieuse mais profane et la polyphonie se double de nombreuses parties chantées par des solistes les monodies, soit dans le "Recitar cantando" (ou récitatif qui est presque du parlé-chanté) accompagné de la basse continue (un, deux ou trois instruments), et les "arias" (ou dos, ou ensemble de 3, 4, 5 solistes) accompagnés par l'orchestre.
Monteverdi avait choisi d'illustrer le mythe d'Orphée fondateur de la mythologie grecque, et universel dans son histoire tragique.
Bien sûr tout le monde connaît le mythe d’Orphée, fondateur de la religion grecque. Eurydice, fiancée d’Orphée, meurt brutalement. Orphée décide de descendre aux enfers pour la rechercher. Mais pour qu’Eurydice revienne dans le monde des vivants, Pluton a posé une condition, qu’Orphée ne se retourne pas avant d’avoir quitté les abîmes. Hélas, dans sa joie de retrouver celle qu’il aime, Orphée veut voir son amour et perd Eurydice pour toujours.
Quelques instruments d'époque, quelques chanteurs de toutes les tessitures, des solistes qui feront les choeurs quand il faudra renforcer ces derniers, tout dans le travail d'I Gemeli, d'Emiliano Gonzalez-Toro, de Thomas Dunford et des autres, donne cette impression de retour aux sources et de simplicité naturelle, presque de dépouillement, qui séduit d'emblée dès les premières notes vigoureusement jouées du Prologue très entrainant de cette tragédie. La mise en espace est en fait une petite mise en scène avec son décor sommaire et ses costumes dépouillés qui renforce l'assimilation de l'oeuvre à la tragédie grecque. Monteverdi avait composé l'Orfeo pour jouer sa "Favola musicale" dans la salle d'un palais ducal. La scène du TCE n'est guère ni plus grande ni plus large et le caisson de bois qui l'enserre lui donne la meilleure acoustique qui soit même pour une petite formation. Les instrumentistes sont soit à gauche (orchestre) soit à droite (instruments du continuo), séparés par une allée où vont et viennent les personnages de l'histoire qui jouent les scènes à la manière de tableaux.
Musicalement comme l'a voulu Monteverdi, ils ont leurs thèmes, leur tessiture et même leur style. 
Brillamment interprétés par des solistes de grande qualité et des instrumentistes d'une finesse et d'une précision remarquable, ils nous racontent cette histoire connue avec la fraicheur et la naïveté touchante d'une équipe soudée qui valorisent tous les talents à part égale.
Malgré tout l'ensemble est dominé par l'Orfeo lumineux et magnifique d'Emiliano Gonzalez Toro dont le timbre est à lui seul un trésor et qui sait varier son expressivité musicale des récitatifs aux arias, avec un talent impressionnant. La salle retenait son souffle subjuguée pendant le splendide "Possente spirto" l'air central du ténor (dont le créateur Francesco Rasi avait lui même écrit toutes les diminutions). La voix est belle, possède de nombreuses et riches couleurs et sait évoluer pour exprimer avec force et émotion les sentiments de joie, de peine, d'espoir puis de désespoir d'Orféo. Une performance qu'on garde longtemps en mémoire, une autre lecture de cet Orfeo, sans doute très authentique.
Mais le reste de l'équipe de chanteurs est remarquable de la belle Euridice (et la musica) de Giulia Semenzato, voix fraiche et délicate parée de mille nuances, au superbe Pastore (berger) de Mathias Vidal, dans une forme éblouissante, voix sonore et décidée, bondissant et entreprenant, il campe un personnage haut en couleur. Même remarque d'ailleurs pour Eva Zaïcik, la très belle "Espérance" dont la voix riche et puissante, remplit toute la salle de la beauté de son timbre, ou le messager de Lea Dessandre, la Proserpina de Mathilde Etienne, le Pluton de Frédéric Caton ou encore l'Apollon de Fulvio Bettini et le Caronte de Jérôme Vargnier. On s'en voudrait d'oublier de souligner la beauté d'un chant, d'une gestuelle, d'une expression dans ce travail d'équipe si riche et si convainquant.
L'orchestre est petit, l'oeuvre exige une formation plus importante mais l'astucieuse disposition des instrumentistes masque un peu les limites de sonorité de la formation en jouant sur l'acoustique. Et le continuo dominé par Thomas Dunford, à la direction et au luth, est tout à la fois cet accompagnement de soutien des récitatifs et une formation musicale à lui tout seul.
Très applaudis en fin de représentation par une salle de connaisseurs très bien remplie, le groupe peut s'enorgueillir d'avoir assuré un de ces soirées baroques dont le Théâtre des Champs Elysées (2) devient le lieu privilégié à Paris, en plongeant aux racines de l'art lyrique dans un genre qui a passé les siècles sans prendre une ride et prouve sa modernité et son universalité. Marier la musique, le théâtre et les sentiments, c'était l'ambition de Monteverdi, c'est toujours le but de tout compositeur d'opéra.

Et bon anniversaire à Emiliano Gonzalez Toro l'un de ces artisans talentueux de la redécouverte de ces oeuvres !


(1) Voir son entretien dans les "dossiers" d'ODB.

(2) Ce soir nous avions un excellent "Agrippina" l'un des premiers opéras de Haendel, composé exactement 100 ans après cet Orfeo. Le "temps" des opéras baroques est beaucoup plus long que celui du "grand répertoire" qui se contracte en une quarantaine d'années seulement.

Article rédigé pour le site ODB

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