Magnifique enregistrement du très rare Tarare d’Antonio Salieri, à se procurer d’urgence

Tarare 


Antonio Salieri 
Livret de Pierre-Augustin Caron de Beaumarchais
Création : 1787
CD du label « Apparté » sorti le 7 juin 2019

Christophe Rousset, direction musicale
Karine Deshayes, Astasie
Cyrille Dubois , Tarare
Judith van Wanroij, La Nature, Spinette
Jean-Sébastien Bou, Atar
Enguerrand de Hys, Calpigi
Tassis Christoyannis, Arthénée, Le Génie du feu
Jérôme Boutillier, Urson, un esclave, un prêtre
Philippe-Nicolas Martin, Altamort, un paysan, un eunuque
Élamir : Marine Lafdal-Franc
Une Bergère sensible/L’ombre : Danaé Monté

Orchestre : Les Talens Lyriques
Choeurs : Les Chantres du Centre de Musique Baroque de Versailles



J’avais vraiment beaucoup aimé ce Tarare de 1787, qui manie allègrement les thèmes des Lumières et de la lutte contre l’obscurantisme et le despotisme, donnant le pouvoir aux petits et renversant les grands lors de cette superbe version concert donné à la Cité de la musique en septembre 2018.
J’écrivais alors notamment : 
"Le livret est très bien écrit, drôle, caustique, plein d’allant, en osmose parfaite avec une musique qui sort largement des règles étroites alors établies pour s’épanouir dans l’audace demandant à ses interprètes de sacrées acrobaties vocales et ne souffrant pas l’approximation. Ce Tarare perdrait une partie de son intérêt si l’orchestre ne respectait pas les sons des instruments de l’époque, si la diction des chanteurs était incompréhensible, s’ils adoptaient un ton emphatique ou grandiloquent. Mais mercredi soir, rien de tel au contraire.
(…) Nous touchions à la perfection dans cette petite salle des concerts de la Philharmonie, très adaptée à ce type d’œuvre.
Et je voudrais d’abord féliciter Christophe Rousset qui a su donner des couleurs à un orchestre d’époque, soulignant les évolutions considérables de la partition selon les « morceaux », soutenant sans faille des chœurs (divins) et des solistes dominant leur sujet avec un naturel confondant et une diction impeccable.
Beaumarchais voulait au travers de cette histoire s’attaquer à la monarchie et à l’Eglise, il a choisi de mêler intrigue politique, dimension sociale et histoires amoureuses avec personnages masqués, faisant rebondit régulièrement l’intérêt de l’œuvre auprès du public par des fantaisies littéraires à répétition. Il met en scène une révolution deux ans avant la Révolution française.
Salieri de son côté a manifestement expérimenté toutes sortes d’exercices musicaux, instrumentaux et vocaux en les faisant se succéder de manière variée et étourdissante.
Et le succès de la soirée doit beaucoup évidemment à l’excellence du plateau vocal. »


L’enregistrement, très soigné, magnifie encore ce bel ensemble où voix et instruments dialoguent avec bonheur et où l’on suit l’histoire avec un rare bonheur.
Et l’on ne sait plus que louer en premier : l’incarnation de chacun des personnages par tous nos artistes avec tant de vérité qu’on revit l’histoire étapes par étapes, la splendide diction française de chacun et chacune qui n’a pas d’égal aujourd’hui pour une équipe aussi nombreuse, les subtiles différences de timbre et de style qui symbolisent si bien chacun des personnages mis en scène et en couleurs musicales par Salieri, la perfection des lignes musicales de chacun et chacune, leur sens des nuances et du beau chant, du rythme et des échanges entre eux, dans un profond respect réciproque du travail de chacun, la beauté de l’orchestre et des instruments d’époque. 

C’est encore mieux, encore plus émouvant, encore plus vrai qu’en salle et de l’étonnant et charismatique Atar du très expressif Jean-Sébastien Bou à la magnifique Astasie de Karine Deshayes en passant par la douceur et le romantisme du Tarare de Cyrille Dubois en contraste parfait et idéal avec l’autorité et la force de Bou, ou le Calpigi irrésistible du jeune ténor Enguerrand de Hys, avec son beau timbre teinté d’une légère acidité qui le rend franchement émouvant comme le jeune eunuque qu’il incarne ou encore la belle soprano Et  la soprano Judith van Wanroij ouvre l’opéra avec éclat et grâce tout à la fois. 

Tout l’art de Christophe Rousset s’incarne dans le choix qu’un chef inspiré sait faire, en proposant les différents rôles de la même tessiture à des « timbres » et des styles différents. Face à l’Atar de Bou, nous avons par exemple l’ Arthénée impressionnant  du  baryton Tassis Christoyannis, plus sombre et solennel, ou l’ Urson du jeune Jérôme Boutillier, timbre corsé et très coloré ou encore l’Alatamort traitre de Philippe-Nicolas Martin, tous parfaitement dans leurs rôles, interprétant vraiment des personnages différents avec un talent qui ressort sans doute encore davantage dans cet enregistrement. Je vous recommande l’écoute attentive de l’acte 2 où leur « confrontation » fait merveille.

J’ai lu ici ou là que l’œuvre était longue et, partant de là, un peu fastidieuse, ce n’est pas du tout le cas dans cette interprétation magistrale. Je ne l’avais jamais entendue auparavant et j’avoue qu’au contraire, j’attendais avec impatience la sortie du CD. 
Une bonne et opportune réalisation à ne pas rater !

Commentaires

  1. Bonjour Hélène. J'ai lu avec d'autant plus d'intérêt votre texte que je connais très bien la version italienne de Tarare qui s'appelle Axur, re d'Ormus. La comparaison est très intéressante. La version italienne est plus concentrée et me paraît plus intense mais cela est affaire de goût et de sensibilité. Le problème est que cette version n'est plus commercialisée, on peut l'entendre sur You tube mais la gravure est de qualité désastreuse. Alors cette version de Christophe Rousset est une bénédiction.

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