L'ardente Flamme de Karine Deshayes, un CD où il fait bon se réchauffer !

« Une amoureuse flamme »

 Karine Deshayes 

Depuis la sortie de ce nouvel opus de la mezzo-soprano Karine Deshayes, les éloges pleuvent et il faut bien dire que cet enregistrement a énormément de charme, démontrant tout à la fois une réelle évolution vocale, un amour de la belle musique, un talent dans le respect scrupuleux de la partition, quelles qu’en soient les difficultés, allié à une immense sensibilité.
France Musique lui consacre une journée ce 14 novembre, occasion de l’entendre expliquer son attachement pour cet art difficile, avec intelligence et générosité. Et d’écouter nombre des airs de ce CD mais aussi bien d’autres interprétations baroques ou plus modernes, où la virtuosité impressionne tout autant que la précision de la diction.
Karine Deshayes a voulu tout à la fois n’interpréter que des rôles de femmes dans ce CD, elle qui fut souvent dévolue de par sa tessiture, aux rôles de travestis, et n’a pas hésité à flirter tranquillement avec le répertoire des sopranos.
Elle explique d’ailleurs au micro de Lionel Esparza sur France Musique, que sa voix a monté depuis 20 ans, lui permettant une aisance incontestable dans les aigus. Elle était de toute façons « soprano 2 » dans la musique baroque, cataloguée donc dans les tessitures aigues. Elle peut, sans problème, passer d’un rôle à l’autre à la manière de Cornelia Falcon qu’elle cite d’ailleurs en exemple.
Ajoutons enfin que ce CD se concentre sur l’opéra français. C’est le label Klarthe qui réussit ce joli coup de maitre, d’un enregistrement réalisé en trois jours et remarquablement soigné, enrichi par le très agréable orchestre Victor Hugo sous la direction musicale de Jean-François Verdier.
Une vraie réussite donc qui se goûte avec délice et s’admire air après air.
Notre préférence ira d’abord à la très belle et très émouvante interprétation de Chimène « De cet affreux combat… ». Karine Deshayes défend ces femmes fortes qui exprime leurs amours dans d’épouvantables situations. Et elle le fait très bien.
Très originale et touchante interprétation pour une sensible Charlotte à l’amour non seulement impossible mais inavouable des deux airs de Werther, d’abord le long extrait « Werther, Werther qui m’aurait dit… », vrai récit où elle prête sa voix aux délires de Werther, traduisant superbement la tension extrême de la jeune femme, médium solide pour le drame, aigus aériens pour le rêve, capacités de colorer ses sentiments. Et quel bel orchestre aux couleurs tout aussi contrastées dans un très bel ensemble conclu par un « Tu frémiras » incroyablement grave…
C’est un rôle où elle a brillé plusieurs fois sur scène. Cela s’entend à chaque note y compris dans le court deuxième air désespéré « laisse couler mes larmes… ».
Excellente Marguerite également dans la célèbre romance « d’amour l’ardente flamme » de la Damnation de Faust, rôle où on la retrouvera très prochainement à la Philharmonie de Paris. Tessiture de mezzo ayant de beaux aigus, l’air lui convient parfaitement, il y a une beauté aérienne dans sa manière de dérouler ce texte poétique bien enchassé dans l’écrin magnifique de l’orchestre.
Et puis il y a le « Sapho », longue ligne de chant d’une extrême musicalité, et quel français superbe dans ce « Où suis-je, O ma lyre immortelle » véritable dentelle où l’on sent monter la tension. On le sait Karine Deshayes est une élève de Régine Crespin, c’est l’un des plus beaux hommages qu’elle rend ainsi à la magnifique chanteuse que cette interprétation magistrale. 
Beaucoup d’émotions aussi à l’écoute du « O Cruel souvenir, je ne te reverrai jamais » extrait de l’opéra de Saint-Saens « Henry VIII », qui convient à cette voix charnue dans le medium et qui connait l’art du legato et les variations exprimant l’éternel regret et la peine des femmes.
Lent et impressionnant « Me voilà seule enfin » de la Reine de Saba (Gounod) où elle vient de triompher à l'opéra de Marseille, ou dramatique et oppressant « Il va venir et d’effroi je me sens frémir » de la Juive d’Halevy, ces airs qui suivent s’écoutent chacun comme un petit morceau d’une tragédie en marche.  
J’ai gardé pour la fin les airs qui m’ont un tout petit peu moins convaincue notamment le « Enfin je suis ici » extrait du Cendrillon de Massenet, très bien exécuté, vocalises comprises, mais où l’aigu final parait un tout petit peu tiré et étroit. C’est sympathique d’avoir choisi l’air alternatif de « l’oiseau rebelle » de Carmen mais, bon, Bizet a bien fait de ne pas le retenir pour finir…il faut reconnaitre qu’on l’oublie assez vite après l’avoir entendu même s’il est joliment troussé par Karine Deshayes.
En résumé un très beau choix, très émouvant et une belle réussite pour un label indépendant, loin des grosses machines de production mais près des cœurs.
A se procurer sans faute !


Airs d’opéras français de Massenet, Saint-Saëns, Berlioz, Gounod, Halévy et Bizet.
Orchestre Victor Hugo (de France Comté)
Jean-François Verdier (direction)

1CD Label Klarthe records – Distribution PIAS
Enregistré au CRR de Besançon en mai 2018

Sorti le 8 novembre

Détail
Jules Massenet Cendrillon, Acte III, « Enfin je suis ici… » Cendrillon
Camille Saint-Saëns Henry VIII, Acte IV, « Ô cruel souvenir » Catherine d’Aragon
Jules Massenet le Cid, Acte III, sc 1, " « De cet affreux combat... Pleurez ! pleurez mes yeux !... » Chimène
Hector Berlioz La damnation de Faust, partie IV, sc 5, romance « d’Amour l’ardente flamme » Marguerite
Charles Gounod Sapho, Acte III " « Où suis je ?...Ô ma lyre immortelle "» Sapho
Jules Massenet Werther, prélude
Jules Massenet Werther, Acte III - Air des lettres : " « Werther... Werther... Qui m'aurait dit la place... je vous écris de ma petite chambre »" Charlotte
Jules Massenet Werther, Acte III, « Va, laisse couler mes larmes… » Charlotte
Fromental Halévy La Juive, Acte II, « Il va venir et d’effroi… » Rachel
Georges Bizet Carmen, " « L'Amour est enfant de Bohême" » (Air alternatif) Carmen
Charles Gounod La Reine de Saba, Acte III "« Me voilà seule enfin... Plus grand, dans son obscurité » "Balkis


Emission de France Musique « Karine Deshayes » du 14 novembre 2019 à réécouter par ce lien
https://www.francemusique.fr/programmes/2019-11-14

Karine Deshayes vient également d’enregistrer « les fables de la Fontaine » d’Offenbach, avec l’Orchestre de l'Opéra de Rouen sous la direction de Jean-Pierre Haeck.


Elle annonce trois prises de rôle durant la prochaine saison : Sara dans « Robert Devereux » de Donizetti au TCE, Eros dans « Psyche » d’Ambroise Thomas également au TCE et « Le compositeur » dans Ariadne auf Naxos de Richard Strauss à Montpellier. Impressionnant ! 

Commentaires

Les plus lus....

Magnifique « Turandot » à Vienne : le triomphe d’un couple, Asmik Grigorian et Jonas Kaufmann et d’un metteur en scène, Claus Guth

Salomé - Richard Strauss - Vienne le 20/09/2017

"Aida" mise en scène par Michieletto au festival de Munich : les horreurs de la guerre plutôt que le faste de la victoire