Une équipe jeune et soudée pour un magnifique Don Carlo à l'Opéra Bastille

Don Carlo 

Opéra en cinq actes de Giuseppe Verdi (1813-1901)
La représentation du 14 novembre à l’opéra Bastille faisait un peu figure de « Première » du fait des deux nouveaux interprètes des rôles de Don Carlo (Michael Fabiano) et Elisabetta (Nicole Car), d’une cohésion de la nouvelle équipe perceptible dès les premières scènes et de la présence du metteur en scène, Warlikowski aux saluts où il fut d’ailleurs très chaleureusement applaudi par un public suspendu au déroulement du drame durant près de quatre heures et manifestement totalement « absorbé » par son exposition linéaire et claire.
Fabio Luisi semblait lui aussi particulièrement heureux de diriger l’un des plus beaux opéras de Verdi dans cette ambiance tout à la fois sereine et efficace, d’un plateau adéquat tout à la fois à l’œuvre et à la lecture du metteur en scène.
J’avais déjà entendu le Don Carlo de Michael Fabiano dans une retransmission depuis un opéra des USA il y a quelques années et ce ténor, qu’on peine parfois à caractériser, m’avait alors paru totalement en phase avec ce rôle. Il a largement confirmé sa capacité exceptionnelle d’engagement dans le personnage tourmenté et malade de Don Carlo, se remémorant son amour irrémédiablement perdu et tournant en rond dans la cage de ses souvenirs, enfermé dans l’étroitesse de cette Espagne de l’Inquisition, où l’on chante «Gloire à Dieu » sans le moindre scrupule pour accompagner l’holocauste des «hérétiques».
Sa présence sur scène est de celle qui marque un rôle, et si le chant n’est pas toujours aussi soigné qu’on pourrait le souhaiter, il n’a pas de défaut majeur : la voix est légèrement rauque mais à bon escient pour exprimer le désarroi et la peine de l’Infant, certains cris relèvent sans doute d’un « excès » expressioniste mais on adopte assez vite cette souffrance à fleur de peau si bien incarnée, le « forte » dominant montre une voix saine et stable et Fabiano sait aussi donner de la « mezzo voce » notamment au final tout en dominant sans peine les ensembles quand il s’agit d’être « spinto » juste avant l’holocauste quand il vient plaider avec force la cause des Flamands.
Nicole Car est une Elisabetta magnifique. La voix est beaucoup plus ample et large que celle de Kurzak, et se déploie tout particulièrement lors des deux duos déchirants avec Don Carlo, celui de l’acte 3, « l’entrevue » et surtout celui de l’acte 5 du final qui suit son superbe « Tu che le vanità", où elle émeut profondément, négociant d’une voix fruitée et charnue, l’un des plus beaux airs du répertoire. C’est une jeune Elisabeth, à la voix encore parfois un peu verte, mais comme pour Fabiano, on y croit, on se laisse vraiment emporter par leur jeunesse, leur fougue et leur évidente entente scénique et vocale. 
Les autres interprètes étaient déjà là pour la Première et la deuxième auxquelles j’ai assisté lors de cette reprise dans la version italienne de l’inoubliable Don Carlos de 2017.
Je ne saurais tarir d’éloges à l’égard du Posa d’Etienne Dupuis, toujours aussi bien chantant, sans doute le meilleur « verdien » du lot, respectant de son superbe timbre, les legato, les trilles, les petites vocalises du rôle, colorant son chant des mille facettes de la partition verdienne, maniant la mezzo voce et les crescendo/descrescendo avec une classe folle et bouleversant dans son personnage utopiste et généreux, qui finalement, est incontestablement l’un des rôles principaux de l’œuvre puisque, outre ses solos, il a des duos avec à peu près tous les autres. Et quels duos ! Du célèbre « Dio, che nell'alma infondere » avec l’Infant, dont le thème reviendra avec la nostalgie d’une profonde amitié qui se termine mal, à la rencontre magistrale avec Filippo, qui est l’une des plus belles scène de cet opéra, le Posa de Dupuis, représente face au Don Carlo névrosé de Fabiano, la raison, l’empathie, la grandeur, la ferveur, la sagesse, le sens du sacrifice.
C’est très impressionnant. A l’applaudimètre il remporte d’ailleurs une énorme ovation largement méritée.
Anita Rachvelishvili m’a paru en un peu moins bonne forme que lors des deux représentations précédentes mais, malgré la dissociation un peu gênante de ses registres qui fait qu’on perçoit nettement par moment deux voix distinctes, son personnage reste parfaitement bien incarné lui aussi, une Eboli forte et faible tout à la fois, qui ne laisse personne indifférent comme d’ailleurs l’ensemble des personnages de cette représentation.
J’ai trouvé par contre que René Pape avait retrouvé sa grande forme de la Première et semblait totalement à l’aise dans cette interprétation d’un Filippo aux multiples fêlures, personnage au pouvoir immense mais qui ne sait comme retrouver l’amour de sa femme, et ce mélange est singulièrement valorisé par la direction d’acteur précise et parfaite de Warlikowski.
Dommage que l’Inquisiteur n’ait pas la voix de « basse profonde » qu’on attend pour offrir un égal contraste lors de son duo avec Filippo que celui que nous donne magnifiquement le duo Dupuis/Pape à l’acte précédent.
Les autres rôles tenus par Julien Dran, Eve-Marie Hubeaux et Sava Vemic  sont à la hauteur de cette distribution globalement très convaincante de même que les chœurs qui démarrent formidablement dès l’acte 1, et l’orchestre qui sous la direction de Fabio Luisi nous livre un Verdi extrêmement fluide, dramatique sans boursouflure, splendide d’un bout à l’autre et qui, jamais au grand jamais, ne couvre les chanteurs qu’il respecte profondément et aide à chaque fois que nécessaire. 
Exceptionnelle soirée.



Et toujours : entretien avec Etienne Dupuis pour ODB

Photos scènes Vincent Pontet ONP.


Rappel :
D’après « Don Karlos, Infant von Spanien » (1787), drame en cinq actes de Friedrich von Schiller (1759-1805), livret en français de Joseph Méry (1797-1866) et Camille Du Locle (1832-1903), traduit en italien par Achille de Lauzières (1818-1894) et Angelo Zanardini (1820-1893).
Direction musicale : Fabio Luisi
Mise en scène : Krzysztof Warlikowski
Décors et costumes : Małgorzata Szczęśniak
Orchestre et Chœurs de l’Opéra national de Paris
Filippo II : René Pape
Don Carlo : Michael Fabiano 
Rodrigo : Étienne Dupuis
Il Grande Inquisitore : Vitalij Kowaljow
Un frate : Sava Vemić
Elisabetta di Valois : Nicole Car 
La Principessa Eboli : Anita Rachvelishvili
Tebaldo : Eve-Maud Hubeaux
Una Voce dal cielo : Tamara Banjesevic
Il Conte di Lerma : Julien Dran
Deputati fiamminghi : Pietro Di Bianco, Daniel Giulianini, Mateusz Hoedt, Tomasz Kumiega, Tiago Matos, Danylo Matviienko
Un Araldo : Vincent Morell
Inquisitori : Vadim Artamonov, Fabio Bellenghi, Marc Chapron, Enzo Coro, Julien Joguet, Kim Ta
Corifeo : Bernard Arrieta 

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