Le voyage à Vienne de Jonas Kaufmann, Paris, 20 janvier 2020

"Wien" "Airs d’opérettes et mélodies viennoises "

Jonas Kaufmann et Rachel Willis-Sørensen

J. Strauss Une Nuit à Venise Ouverture (orchestre)
« Sei mir gegrüßt du holdes Venezia »
« Ach wie so herrlich zu schau’n »
Tik-Tak Polka (orchestre)
La Chauve-souris, Uhren-Duett, « Klänge der Heimat »
Fanny Elssler, « Draußen in Sievering »
Leichtes Blut, Polka (orchestre)
Wiener Blut, Titel-Duett
R. Stolz Wiener Cafe, Walzer (orchestre)
E. Kálmán Die Zirkusprinzessin « Zwei Märchenaugen »
F. Lehár Die lustige Witwe
Vilja-Lied « Lippen schweigen »
R. Stolz « Im Prater blüh’n wieder die Bäume », 
« Wien wird schön erst bei Nacht », Gruss aus Wien, Marsch (orchestre)
R. Sieczynski « Wien, Wien nur du allein »
Et deux "bis".
Avec le PKF-Prague Philharmonia 
sous la direction de Jochen Rieder

Théâtre des Champs Elysées, le 20 janvier 2020
Peu de chanteurs honorent avec autant de fidélité depuis des années leur rendez-vous annuel en récital à Paris. Jonas Kaufmann en fait partie et c’est un peu plus la fête que d’habitude quand il s’annonce. Depuis quelques années le ténor bavarois inscrit ce concert dans le cadre des tournées de plus en plus longues et fatigantes que sa notoriété requiert sans doute et qui font incontestablement le bonheur de ses admirateurs.
Une année il nous fit l’honneur de doubler la mise en nous offrant successivement les Wesendonck Lieder de Wagner et le Chant de la Terre de Mahler. Ces tournées généralement appuyées sur un enregistrement, nous offrent une palette de programmes très différents qui reflètent les multiples talents du chanteur et en font des rencontres uniques.
En 2014 la tournée « Berlin » nous avait fait découvrir Jonas Kaufmann en « crooner » pour quelques chansons de cabaret des années 30 qu’il nous donnait sous une forme sonorisée et une très importante et intelligente incursion dans le répertoire des opérettes qu’il défend comme étant un répertoire majeur de l’art lyrique, où sa belle voix sombre de ténor déployait le charme habituel de ses nuances infinies.
La tournée « Wien » (Vienne) qui a commencé en octobre dans la capitale autrichienne et s’appuie sur un CD rempli d’une douce nostalgie du temps où rien n’avait d’importance sauf la fête, est également composée d’airs d’opérettes chantés en voix d’opéra et de chansonnettes plus susurrées qui font appel à une légère sonorisation en deuxième partie.
Cette dernière n’était pas tout à fait au point au TCE, ne fonctionnant manifestement que pour les spectateurs placés en frontal de la scène et pas trop haut. Ce qui n’a pas manqué de susciter de nombreuses discussions…
J’en resterai quant à moi à l’appréciation du contenu du concert et des interprétations de Jonas Kaufmann et de sa partenaire Rachel Willis-Sorensen qui me paraissent suffisamment dignes d’intérêt pour concentrer l’attention du « critique » qui par définition, ne peut pas se trouver en même temps dans tous les recoins d’une salle à l’acoustique très inégale et qui était, Kaufmann oblige, remplie à craquer.
En commençant par le beau «Sei mir gegrüßt du holdes Venezia » extrait d’Une nuit à Venise, Kaufmann, tout en montrant certaines précautions vocales signe qu’il n’était pas tout à fait remis d’un refroidissement récent, nous mettait dans l’ambiance de l’opérette viennoise. Celle dans laquelle il a fait ses débuts, bien des années auparavant, en tant que jeune ténor léger allemand, époque à laquelle il ne se risquait surement pas à déployer l’infini palette de nuances qui marque sa signature actuelle. Le sublime diminuendo final sur note aigue avec crescendo final montrait que, malgré une légère tension, Kaufmann disposait de l’essentiel de ses fabuleux moyens vocaux. La voix retrouvait d’ailleurs une souplesse assez rapidement dès le deuxième air « Ach wie so herrlich zu schau’n », l’air de Caramelo et tout le charme et la grâce du beau chant prenait le dessus et nous conduisait sur la route du Vienne de Johann Strauss. L’art de Kaufmann se retrouve alors totalement malgré la légèreté évidente du propos. Duo enjoué encore avec sa partenaire Rachel Willis-Sorensen dans le Uhren-Duett, « Klänge der Heimat », moment-phare de la Chauve-souris opérette qu’ils avaient interprétés ensemble à Dresde il y a un an. Les chanteurs donnent du geste et du sens à leur duo célèbre, scandant les heures, dans ce jeu de dupes autour d’une montre où ils nous offre une valse des sentiments avant d’esquisser quelques pas de danse sur scène dans un très joli mouvement qui atteindra son zénith avec la valse Wiener Blut. Sans jamais caricaturer ces airs trop célèbres, les deux partenaires très complices leur donne des lettres de noblesse par l’infinie grâce et élégance avec lesquelles ils les interprètent.
Pourtant il est évident que Kaufmann est fatigué, cela se voit à quelques détails de nervosité inhabituelles chez lui, au fait qu’il ne s’adresse pas au public comme il le fait traditionnellement par quelques mots, même si ses sourires et ses saluts sont longs et appuyés comme à l’habitude, j’ai eu parfois l’impression d’une sorte de « présence/absence » qui ne nuisait pas à sa prestation mais laissait voir sans doute, la crainte de ne pas réussir à terminer son programme.
Sa « fièvre » au sens réel du terme, m’est apparue plus évidente en deuxième partie, où la voix doit se faire murmure pour rendre compte des douces chansonnettes viennoises. Beaucoup de charme bien sûr de la part du ténor en costume de ville cette fois, qui déploie toutes les nuances ironiques de ces petits morceaux qu’on chantait dans les cafés viennois et qui ne manquent pas d’humour (j'adore tout particulièrement les deux chansons de Robert Stolz) beaucoup de décontraction apparente également mais la voix ne fait pas tout à fait toujours ce qu’elle veut parfois révélant l’état grippal de Kaufmann. Ce sont des micro secondes rien de plus, assez imperceptibles, qui ne s’entendent qu’en comparaison avec les autres prestations précédentes de sa tournée.
Pourtant il assure avec son professionnalisme habituel le récital avec la qualité que l’on attend de l’un des artistes lyriques les plus demandés du moment. Et le charme opère, avec cette diction parfaite qui cisèle les mots, les changements de couleur, la variation de style qui exprime si bien cette infinie légèreté de la chanson viennoise. Dommage que l’absence de surtitres n’aient pas permis au public non germanophone de comprendre les paroles qui ont tout leur sens évidemment dans ce genre de répertoire, même si un programme précis était distribué contenant l'ensemble des paroles et leur traduction.
L’accident n’interviendra que lors du deuxième bis « Heut ist der schönste Tag in meinem Leben » d’Hans May après un premier succès avec son célèbre et délicieux « In einem kleinen Café in Hernals » d’Hermann Leopoldi. Une toux interrompt son chant, il avale une pilule d’un geste si rapide qu’on devine qu’il se prépare à un tel incident depuis le début du récital et termine mais l’on sait qu’il ne reviendra pas honorer quelques autres « bis » et qu’il est visiblement navré de n’avoir pas eu la forme nécessaire pour assurer un final brillant, de ceux dont il nous a déjà gratifié à plusieurs reprises, quand il additionne les « bis » pour le seul plaisir de prolonger la soirée avec un public qui l’ovationne pourtant sans réserve. 

Saluons également sa partenaire Rachel Villis Sorensen, qui l’accompagne brillament dans cette tournée (et dans l’enregistrement du CD) et que j’ai eu l’occasion d’entendre déjà à Londres et à Munich dans Don Giovanni et dans les Vêpres Siciliennes. Belle voix brillante un peu trop « tout d’un bloc » à mon goût mais qui nous a offert notamment un « Vilja Lied » impressionnant. J'ai été nettement moins séduite par l'orchestre souvent peu subtil pour cette musique qui doit évoquer la légèreté des bulles de champagne ce qui n'était pas vraiment le cas. 

Restera la question que beaucoup avaient sur les lèvres : Kaufmann a-t-il eu raison de maintenir sa présence malgré une évidente bronchite ? Personnellement j’ai tellement apprécié la soirée, le jour de mon anniversaire de surcroit, que je répondrai « oui » sans hésiter comme la plupart des critiques de la soirée d’ailleurs.
Une chose est sûre : il fallait du courage pour affronter une telle soirée quand on n’est pas au mieux de sa forme, qu’on a déjà assuré cinq concerts de la tournée et qu’il en reste encore, à une cadence presque infernale, cinq à venir dont Hambourg deux jours après Paris.
Alors bravo et merci pour ce petit séjour romantique à Vienne.



Ce concert s'inscrit dans le cadre d'une tournée intitulée "Wien" en relation avec le dernier CD qui, sous le même titre, a été enregistré en mai dernier avec l'orchestre Philharmonique de Vienne.
Sur le CD : voir 
Un film a été réalisé lors de la première séance de la tournée, le 14 octobre à Vienne, diffusé sur ARTE et annoncé dans les cinémas le 24 mars prochain. 
Liste des concerts de la tournée :
14 octobre 2019 : Musikverhein Vienne.
7. Janvier 2020, Konzert, "Mein Wien", Munich, Philharmonie am Gasteig 
10. Janvier 2020, Konzert, "Mein Wien", Budapest, Müpa
12. Janvier 2020, Konzert, "Mein Wien", Stuttgart, Liederhalle 
15. Janvier 2020, Konzert, "Mein Wien", Berlin, Philharmonie 
20. Janvier 2020, Konzert, "Mein Wien", Paris, Théâtre des Champs Elysées
22. Janvier 2020, Konzert, "Mein Wien", Hamburg, Laeiszhalle 
26. Janvier 2020, Konzert, "Mein Wien", Brüssel, Palais des Beaux Arts 
28. Janvier 2020, Konzert, "Mein Wien", Düsseldorf, Tonhalle
30. Janvier 2020, Konzert, "Mein Wien", Luzern, KKL 
1er février 2020 : Konzert, "Mein Wien", Baden Baden, Festspielhaus.

Photos Maria Stuarda, un grand merci à lui !


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