Le voyage imaginaire de Sadko, le bel opéra de Rimski Korsakov au Bolchoi de Moscou

Sadko

Opéra en sept scènes de Nikolai Rimski-Korsakov (1844 - 1908)
Livret de Nikolai Rimski-Korsakov, Vladimir Stasov et Vladimir Belski
Création à Moscou, Théâtre Solodovnikov, 7 janvier 1898

Timur Zangiev(Direction)
Dmitri Tcherniakov (Mise en scène)

Nazhmiddin Mavlyanov (Ténor) : Sadko
Andrey Zhilikhovsky(Baryton) : Le Marchand vénitien
Sergei Murzaev (Baryton) : L'Apparition
Roman Muravitsky (Ténor) : Foma Nazarich, doyen de Novgorod
Alexandra Durseneva(Mezzo-soprano) : Sa femme
Vladimir Komovich(Basse) : Luka Zinovich, Gouverneur de Novgorod
Irina Rubtsova (Soprano) : Sa femme
Aida Garifullina(Soprano) : Volkhova
Ekaterina Semenchuk (Mezzo-soprano) : Lioubava Bouslaevna
Mikhail Petrenko(Basse) : Duda
Yuriy Mynenko (Alto (voix)) : Nejata
Stanislav Trofimov (Basse) : Tsar Océan
Maxim Paster (Ténor) : Sopel
Dmitry Ulyanov (Basse) : Le Marchand varègue
Alexei Neklyudov (Ténor) : Le Marchand indien

Mardi 18 février, retransmission en direct depuis le Bolchoi de Moscou (Mezzo)

Marathon assez époustouflant que ce voyage imaginaire du "rossignol" Sadko de Novgorod à Novgorod en passant par les lacs, les fleuves, les mers du monde. Rimski-Korsakov avait écrit d'abord un poème symphonique avant de composer finalement cet opéra-légende en sept tableaux, récit initiatique pour le jeune Sadko mais aussi histoire d'une ville et d'une rivière qui mena à la mer. La musique est clairement et directement inspiré de l'héritage folklorique russe allant puiser, comme le conte lui même, dans les sonorités très anciennes des chants et danses de la Russie profonde.
Recherche musicale passionnante que la réalisation de cet opéra brillant et inspiré qui sait alterner les grands choeurs russes, les solos de toutes les tessitures et les duos puissants et romantiques.
Le jeune chef Timur Zangiev fait merveille pour servir un orchestre au service de ces différentes facettes musicales, avec des accents presque primitifs dans certains passages, des choeurs superlatifs et des solistes de haut niveau.
Dmitri Tcherniakov (ovationné aux saluts) connait bien l'opéra russe, ses démons et ses merveilles, ses légendes rurales, ses rêves. Et c'est son parti pris de départ : Sadko, Volkhova et Lioubova sont des trentenaires BCBG qui tentent une expérience dans un parc "magique" qui va leur permettre de se retrouver au milieu de leurs rêves les plus fous.
Sadko et Lioubova resteront en tenue de ville actuelle d'ailleurs, traversant les tableaux et vivant les aventures des héros qu'ils représentent tandis que Volkhova aura deux visages : une tenue rose, valise à roulette, pour la charmante jeune femme qu'elle est dans la période actuelle et une magnifique naïade, robe de voile moirée d'orange ou de bleu, quand elle sera la fille du tsar des mers. 
A chaque tableau, le décor change, s'inspirant directement des décors un peu naïfs et très colorés du premier Sadko donné à Moscou et évoque un théâtre de marionnettes avec son charme d’antan, qui n’occuperait pas tout le plateau soulignant toujours le rêve éveillé que Sadko vit en direct devant nous. Tous les autres chanteurs, solistes, choeurs, figurants, danseurs, sont habillés en costume d'époque mais avec une note là aussi naïve et colorée comme une illustration pour livres d'enfants.  
Les marchands de Novgorod sont tous blonds, habits de couleurs pastel, brodés, avec chapeaux d'époque. De la même manière le tableau VI qui se passe sous les mers dans le palais du tsar de la Mer pour le mariage de Sadko et de Volkhova, créée une ambiance fantastique d'animaux marins aux déguisements de carnaval très évocatrice tout en gardant un côté humoristique qui laisse toujours la place à l'amusement. Au début du tableau VII avant la fin du "charme", une magnifique scène réunit Sadko et Volkhova sur le plateau entièrement nu d'où tout décor s'est retiré après le naufrage du royaume de la mer. Elle virevolte et danse avec une grâce infinie tandis qu'ils chantent leur amour infini juste avant que Sadko ne s'écroule.
Retournement de la fin puisque nous sommes revenus à la réalité à l'entrée du Parc des rêves. Sadko refuse tout retour à la vraie vie et les gardiens du parc arrivés en force (en bleu de travail et casquette jaune) et vont petit à petit reprendre les attributs de chacun des personnages croisés. Le rêve peut reprendre tandis que la ville de Novgorod fête sa toute nouvelle rivière.
Tcherniakov confirme son adéquation à l'opéra russe malgré les libertés qu'il prend dans l'interprétation, on s'y retrouve complètement, ambiance, atmosphère, message.
Par contre on peut se demander s'il en veut à la magnifique Ekaterina Semenchuk qu'il attife d'une chemise blanche, pantalon noir qui ne conviennent guère à sa silhouette (on se rappelle du sort de la pauvre Didon dans les Troyens à Paris). 
La direction d'acteurs est précise et parfaite, on sourit souvent, on s'amuse beaucoup et surtout ce qui est chanté correspond exactement à ce qu'on voit (non sans humour parfois, la danse autour du saule par exemple...
Côté solistes, le Bolchoi comme le Mariinski sait offrir ce qu'il a de mieux dans toutes les tessitures même pour des rôles centrés sur un grand air comme le Duda (le pipeau) de Mikhail Petrenko, saltimbanque magnifique ou à l'opposé, Maxime Paster, le saltimbanque ténor à la voix solaire, Sopel (le chalumeau). Nous avons même un beau "contralto", le joueur de cithare au tableau 1 (Yuri Minenko). Les barytons Sergei Murzaev ou Andrey Zhilikhovsky et les basses tels Vladimir Komovich (le gouverneur de Novgorod), ou Stanislav Trofimov (le tsar des mers) ou encore Dmitry Ulyanov (le marchand Varège) et le marchand indien du ténor Alexei Neklyudov (qui nous offre le fameux superbe "chant indien" : Le  forment cet ensemble de tessitures très variées qui s'accompagne de choix d'interprètes aux timbres différents ce qui donne un tissu vocal très riche. Les voix russes formées au sérail dans leur répertoire, ont toujours une profondeur impressionnante qui les caractérise. 
Et nos trois héros qui parcourent les tableaux sont tous d'excellents chanteurs admirables dans des rôles qui ne manquent ni de tension, ni de longueurs.
J'aime beaucoup Ekaterina Semenchuk, cette mezzo au timbre somptueux, capable d'infinies nuances et de colorations expressives de son chant, tout particulièrement quand elle chante dans sa langue. Elle se montre particulièrement émouvante et très juste en femme abandonnée.
Aida Garifullina est une fée merveilleuse qui chante comme elle danse (quel talent !), gracieuse, souveraine, qui tourbillonne en permanence avec un charme à revendre, belle voix, timbre fruité qui se corse un peu tout en restant juvénile, formidable prestation, on n'imagine personne d'autre dans le rôle de Volkhova dans ce Sadko.
Quant au ténor Nazhmiddin Mavlyanov, c'est un beau Sadko, vaillant et engagé dans un rôle assez soutenu et qui s'apparente plutôt à un Herman qu'à un Lenski, pour rester dans les comparaisons russes. De temps en temps, il accuse une légère fatigue presque imperceptible qui souligne finalement à quel point ce n'est pas évident. Le timbre du ténor est plutôt sombre mais ses aigus sont clairs, nets et souvent tenus.
Bref, comme d'habitude une belle distribution, entièrement russe, qui a l'habitude de la troupe et sait former une vraie équipe, pour un opéra à découvrir ou redécouvrir, dans une mise en scène qui créera sans doute la controverse mais qui m'a personnellement, bien plu.

Photos : © Damira Yusupova, Théâtre Bolchoï

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