Opéras - Au fil des retransmissions -III

Chroniques d’opéras par temps de coronavirus – Partie III 

 Privée d’opéras en salle, comme beaucoup d’amateurs passionnés, je me suis « contentée » de regarder nombre des retransmissions proposées par diverses maisons d’opéra. J’ai noté quelques remarques plus ou moins développées à chaque fois. Les voici « rassemblées », pour cette troisième partie qui va du 23 mai au 3 juin. En espérant voir bientôt l’opéra reprendre sa place normale dans les salles…Notons que de nombreuses salles commencent à ré-accueillir du public mais ce n’est qu’un début en attendant la rentrée.


23 mai : Don Giovanni (Mozart) MET
Ce soir : Don Giovanni de Mozart, avec une distribution de référence, James Morris en DG mais aussi Gabriel Bacquier qui vous a quittés il y a quelques jours et qui incarnait Leporello, Joan Sutherland (la "Supenda") qu'on a revue il y a une dizaine de jours en Lucia, et la direction musicale de son époux Richard Bonynge. Et il faut reconnaitre que ce Don Giovanni mythique qui date de 1978, avait une sacrée allure. Quelques images sont projetées d'ailleurs durant l'ouverture avec un texte donnant les grands moments de l'opéra pour que le téléspectateur béotien s'y retrouve et l'ensemble de la mise en scène est volontairement très fidèle et très explicite avec une belle direction d'acteur digne des qualités d'une pièce de théâtre ce qui convient bien à l'opéra de Mozart. Drame mais aussi comédie, ce DG est un véritable chef d'oeuvre musical et Bonynge, sans être le meilleur chef que j'ai entendu en la matière, sait donner les accents dramatiques qui ponctuent une partition souvent plus légère, soulignant le génie orchestral et mélodique de Mozart. James Morris est un élégant Don Giovanni, celui dont on rêve sur scène, il a l'élégance de l'aristocrate qui s'amuse, l'insolence et le mépris de sa morgue de sa classe qu'il défend brillamment jusque dans ses lâchetés quand il est découvert dans ses tentatives de "séduction" des femmes, le chant est beau tout en restant parfaitement naturel tout comme le jeu de l'artiste très charismatique et très convainquant (et très puni comme la morale l'exige). Mais le Leporello gouailleur, drôle et très attachant de Gabriel Bacquier lui dispute la vedette en permanence, offrant un subtil contrepoint au cynisme de son maitre, par son attitude plus qu'humaine. Et quelle facilité dans le chant, quelle éblouissante prestation du début à la fin. Avoir une telle paire sur scène était, à coup sûr un bonheur de chaque minute. Mais ce n'était pas tout. Il y a avait aussi la Donna Anna de Joan Sutherland, magnifique dans ses airs de Bel canto, éblouissante de trilles, vocalises, et autres prouesses vocales, dont on regrettera malgré tout le jeu un peu guindé. A l'inverse Julia Varady est une Donna Elvira selon mon coeur sans la moindre réserve. J'aime son jeu décidé qui sait faire apparaitre clairement les hésitations amoureuses d'une femme complexe, dont les failles ne manquent pas. Le chant est vif, décidé, le timbre superbe, et ma foi, je crois que j'ai toujours vraiment apprécié cette magnifique soprano qui s'est beaucoup produite à Munich. Pour parfaire la distribution presque idéale, nous avions également l'excellente Zerlina de la canadienne Huguette Tourangeau. Un cran en dessous, le ténor John Brecknock en Don Ottavio fait un peu pâle figure notamment dans un jeu assez sommaire même si la voix est jolie (le ténor également) et s'il chante avec élégance. Il ne faut pas oublier les "petits" rôles fort bien tenus de Masetto par Allan Monk et du Commendeur par la basse John Macurdy. Un bon Don Giovanni exige cette perfection globale. Celui-ci est resté dans les annales de ce fait.



24 mai – Faust (Gounod) MET
 Ce soir, la classe encore avec l'élégant Faust de Jonas Kaufmann, le Méfisto machiavélique de René Pape, et la Marguerite de Marina Poplavskaya, soprano très en vogue il y a quelques années et qui a arrêté brutalement sa carrière. Direction Yannick Nezet-Seguin, de venu depuis, le directeur musical du MET. Je suis pas fan de cette oeuvre mais la distribution vaut le déplacement....Production de 2011.
La mise en scène de Desmond McAnuff ne faisait pas l'unanimité dans sa proposition d'illustrer ce Faust de Gounod en l'imaginant savant atomiste qui, alors qu'il est déjà vieux, voit exploser la bombe atomique et lorsqu'il signe un pacte avec le diable pour retrouver sa jeunesse, se retrouve propulsée à l'époque, non moins violente, de la Première guerre mondiale. Cela vaut des incursions dans la belle époque, avec ses costumes masculins chics et fort seyants, blancs, puis noir, noeud papillon et cannes à pommeau, ses uniformes et sa croix rouge. Mefisto, comme il se doit, est le diable qui se cache dans les détails des méfaits involontaires du savant atomiste dont on voit la bande de laborantins observer de loin ou de haut, le monde de Marguerite évoluer à ses pieds. L'idée tourne assez vite court et si, esthétiquement, on garde une vision plutôt belle de l'ensemble (vidéos comprises), le fil ne laisse pas de souvenirs marquants pour une mise en scène qui s'appuie sur le décor unique de deux escaliers en colimaçon qui se font face et pratique de très nombreuses coupures qui dépouille un peu l'oeuvre de certaines de ses richesses musicales (sur le plan du livret, j'ai toujours trouvé cet opéra de Gounod trop "boursouflé"). Toute autre chose est la direction musicale colorée, enjouée, subtile et intelligente de "YNS", tout jeune chef canadien à cette époque, déjà enthousiaste (qu'on voit comme Kaufmann, Pape, Marina, interviewé par Joyce Di Donato présentatrice de la soirée) et qui est, aujourd'hui, le directeur musical du MET (entre autres!). Un des "grands" d'aujourd'hui. Il faut dire, que comme il le déclare lui-même, il a une distribution de rêve, retransmission dans tous les cinémas du monde oblige. Jonas Kaufmann, contrairement à ce qui s'écrivit d'ailleurs à tort à l'époque par ceux qui semblaient le découvrir depuis très peu d'années, ne faisait pas sa prise de rôle en Faust à cette occasion. Outre le Faust de la Damnation de Berlioz qu'il avait chanté à maintes reprises dans diverses productions (à la Monnaie sous la direction de Pappano ou à Genève dans une mise en scène très controversée d'Olivier Py), il avait également chanté ce Faust de Gounod en 2004 à Zurich son port d'attache du début des années 2000, se faisant d'ailleurs déjà amplement remarqué dans le rôle par son interprétation magistrale. Il faut dire qu'il allie à une diction enviable et très bien articulée (malgré un léger accent...), un magnifique "phrasé", la beauté d'un timbre très pur, barytonnant sans excès ("sa" marque de fabrique), la facilité d'interpréter un personnage sans pour autant se départir de la recherche du beau chant jusque dans les détails. Il chante l'intégralité du rôle, et la voix et le style coléreux du vieux Faust du début, tranche avec l'élégance et la jeunesse du Faust qui a signé son pacte. Mezzo voce, diminuendo, pianissimo, forte en aigus brillants et longuement tenus (dont l'éclatant contre ut de "demeure chaste et pure", aucune technique n'échappe à Kaufmann, déjà devenu incontournable en cette année 2011 où il vient de briller dans la Walkure sur cette même scène du MET, démontrant sa capacité à incarner Gounod peu après Wagner, mélange des genres assez rare pour un chanteur de son niveau. Talent qu'il partage avec l'étonnant et magnifique René Pape (avec qui il a partagé l'affiche de plusieurs Parsifal d'ailleurs...), capable de "tout" chanter ou presque lui aussi, et notamment ce Mefistofelès de Gounod qui est l'une de ses plus belles incarnations avec celui de Boito dans lequel j'ai eu la chance de le voir à Munich. Très à l'aise dans les grands airs du "diable", il sait aussi se montrer autoritaire, menaçant, moqueur et meneur de revue avec la force de conviction des grands chanteurs-acteurs. Sa complicité avec son vieil ami Kaufmann se ressent d'ailleurs sur scène. 
Marina Poplavskaya est une Marguerite un rien chichiteuse, meilleures chanteuse cependant que dans mon souvenir (cela fait quelques années qu'on ne la voit plus sur scène), avec de très grands moments et qui démontre qu'elle avait une "présence" qui sans égaler le charisme de ses partenaires masculins, ne déparait pas. La direction d'acteurs (ou plutôt sa quasi-absence) la livre un peu à elle-même et elle semble se démener un peu "dans le vide" sans vraiment "accrocher" avec ses partenaires. La "passion" entre elle et Faust parait souvent un peu unilatérale...
Beau Valentin de Russell Braun et Siegel un peu effacé par la mise en scène mais bien interprété de Michèle Losier. Les rôles de Wagner (Jonathan Meyer) ou de Dame Marthe (Wendy White), subissent également des coupures qui les rendent très "secondaires" et ne facilite pas la tâche des chanteurs. 
Ce "Faust" était sorti en DVD en 2014. On peut donc le revoir pour son exceptionnelle qualité musicale. Avec plaisir.


25 mai Manon (Massenet) MET
Ce soir Manon, Netrebko, Beczala....Superbe distribution ! Belle mise en scène de Pelly, intelligente et esthétiquement irréprochable avec quelques idées originales (l'escalier de la liberté à l'acte 1, le ballet qui se termine par les actes prédateurs de ces messieurs en noir à l'encontre de leurs "danseuses"), de très beaux décors et costumes et une excellente direction d'acteur mais que je persiste à trouver un peu "froide" ce qui est un comble pour Manon. L'un des plus beaux rôles d'Anna Netrebko à l'époque, et du coup, l'une des plus vibrantes Manon des dix dernières années. Une métamorphose physique particulière réussie de la jeune fille qui veut s'amuser, à la fille perdue qui meurt sur les bords d'une route, en passant par la séduisante courtisane aux belles robes et bijoux de luxe qui semble trainer son ennui avec distinction. La voix capiteuse et souple épouse le jeu et si les suraigus sont parfois un tout petit peu hasardeux, l'incarnation est si véridique que l'émotion et l'admiration naissent à chacun de ses airs. Piotr Beczala est irréprochable sur le plan du chant même si la voix parait souvent "sur le fil" notamment lorsqu'il la force, ce qui n'est pas toujours du plus bel effet en retransmission. Son jeu me parait toujours un peu suranné et cette fois ne fait pas exception. Dans la même mise en scène, malgré un chant beaucoup plus "débraillé", j'ai trouvé Fabiano beaucoup plus émouvant récemment (aux côtés de Lisette Oropesa). Le Des Griefs de Paulo Szot tient bien son rang et ne manque pas de charisme sur scène, mais on retient surtout dans les rôles secondaires le Guillot de Morfontaine de Christophe Mortagne, le seul qui chante correctement la langue de Molière (qui est la sienne, certes) qu'on peine parfois à reconnaitre dans la prononciation très aléatoire des autres chanteurs. La direction de Fabio Luisa est vive et enjouée, ce chef, sans être exceptionnel, est décidément une valeur sure à l'opéra...


26 mai – La damnation de Faust de Berlioz.- MET
Captation qui date de 2008 d'une mise en scène à peu près parfaite, celle de Lepage pour cette "Légende dramatique en quatre parties" qui n'est pas tout à fait un opéra et à qui il a été assez rarement rendu justice par les hommes de théâtre. Robert Lepage en propose une éblouissante illustration où se mêlent avec élégance, subtilité et intelligence, tous les arts de la scène, danse, acrobatie, théâtre, chant évidemment (et choeurs surtout dans cette oeuvre), décors et costumes, et vidéos, le tout brillamment utilisé dans un maelström d'images et de scènettes qui forment autant de tableaux en phase parfaite avec la grandiose musique de Berlioz.
Créé pour Seiji Ozawa et le Festival de Matsumoto en 1999, ce véritable album animé avait été repris à Paris Bastille à partir de 2001 et jusqu'à 2006 pour être, hélas, remplacée par la stupide et laide mise en scène de Hermanis en 2015. C'est, en ce qui me concerne, la seule illustration de la Damnation de Faust qui m'a paru adéquate à ce foisonnement de lieux et de situations qui exige d'emmener le spectateur sans lui laisser le temps de souffler dans la valse où Mefisto conduit Faust dans le bain de jouvence qu'il lui propose. Cette oeuvre est d'ailleurs souvent donnée en version concert (ou semi-concertante).
Magnifique réalisation donc que celle que nous proposait le MET hier soir, également superbement servie par James Levine à la tête d'un orchestre qui sculpte les thèmes et fait ressortir les nuances, les accélérations, les "forte" et les cavalcades "militaires" de la partition comme les douceurs des moments intimes. Saluons aussi les choeurs, personnage à part entière de l'oeuvre, extrêmement sollicités, choeurs d'enfants compris, et qui exécutent leurs morceaux avec brio (choeur des paysans, de la fête de Pâque, des buveurs, des gnomes et de sylphes, des soldats, chanson des étudiants en latin et surtout, mention spéciale au fameux Pandæmonium avec son choeur dans la langue de Satan, Has ! Irimidu Karabrao ! Has ! Has ! Has !, magnifiquement réalisé).
Le plateau vocal est également somptueux en ce qui concerne la Marguerite voluptueuse, au timbre riche et capiteux de  Susan Graham, l'une des habituées "de référence" du rôle qui nous éblouit littéralement, vocalement comme scéniquement d'ailleurs. Le Mefisto de John Relyea a la noirceur séductrice du diable, une aisance confondante dans l'incarnation du rôle et une très belle voix qui se déploie magnifiquement surmontant toutes les difficultés avec aisance. Déception totale par contre concernant la prestation de Marcelo Giordanni qui n'est jamais au niveau requis ni au niveau de ses partenaires d'ailleurs : suraigus à la peine et étriqués (et très courts...), notes filées très peu tenues, allure guindée qui ne laisse guère penser à Faust prenant son plaisir, bref, le ténor italien récemment disparu ne tenait pas là le rôle de sa vie et l'on songe à tous les excellents Faust de la Damnation entendus depuis une petite vingtaine d'années, de Jonas Kaufmann à Michael Spyres en passant par Bryan Hymel ou John Osborn et j'en oublie certainement, pour s'étonner de ce choix à contre-emploi fait par le MET.
Il reste une bien belle soirée qui montre comment un dramaturge de génie peut donner de l'éclat à une oeuvre qui n'en manque pas par ailleurs, par son art. Chapeau.



28 mai – Manon Lescault (Puccini) -MET
Retour sur ce Manon Lescaut de Puccini, une"autre" lecture du roman à l'opéra, avec une distribution légendaire, hier soir au MET de New York pour une production de 1978.
Revoir deux fois de suite Renata Scotto avec deux des plus grands ténors de tous les temps, Pavarotti l'autre soir, Domingo hier soir, tous deux dans Puccini, c'était une vraie leçon d'opéra. Plus encore peut-être qu'en Mimi, Renata Scotto habite cette Manon innocente (mais remplie de désirs de liberté), courtisane puis fille perdue et condamnée, par sa voix. Ce n'est pas le moindre de ses extraordinaires talents que de savoir modifier les accents de son timbre dans une technique totalement maitrisée pour nous offrir ce rôle de composition fascinant de vérité. A ses côtés, Placido le magnifique, dans les grandes heures de sa carrière, offrait un jeune et fougueux Des Grieux, un rien grandiloquent et emphatique dans son premier air, mais qui se libère peu à peu pour exploser aux deux derniers actes, et nous transmettre l'émotion intense de ces scènes en tension extrême musicalement sublimes, de Puccini. Un très solide et très séduisant Lescaut de Pablo Elvira complète une distribution idéale des rôles principaux. Les "secondaires" ne sont pas en reste avec le Geronte di Ravoir de Renato Capecchi ou l'excellent Edmondo de Philip Creech. Mise en scène surannée et sans imagination qu'on peut oublier mais incroyable vivacité de la direction de James Levine, éblouissante et étourdissante.


29 mai Boris Godounov (Moussorgski) – Opéra de Paris
Ce soir je devais revoir cette mise en scène de Boris Godounov, à l'Opéra Bastille. Je reverrai la retransmission de l'une des représentations de 2018 la première série, proposée par l'ONP.
Voilà ce que j’en avais retenu lors de la représentation en salle.


30 mai – La Sonnambula, ( Bellini) - MET
Ravie de retrouver Natalie Dessay qui a quitté les scènes d'opéra il y a quelques années maintenant, dans cet opéra de Bellini, aux côtés de l'un des meilleurs ténors belcantiste Juan Diego Florez... ce soir au MET.
Cette production de 2009 avait été assez sévèrement étrillée par les critiques. Personnellement je trouve qu'elle vieillit plutôt bien même si elle est souvent confuse au regard du livret. Mary Zimmerman fait en effet le choix du "théâtre dans le théâtre". Nous voyons donc évoluer des acteurs/chanteurs qui ont leurs propres sentiments et leur propre style et arrivent à la répétiton de l'opéra après avoir poussé la double porte d'un grand mur représentant les Alpes et le petit train du Montenvers. Le rideau se lève alors sur un décor unique, un immense loft, dans lequel vont se dérouler les répétitions de la Sonnambula, opéra de Bellini (1831) sur un livret d'Eugène Scribe. Pour l'anecdote, il faut savoir que le génial Bellini (Norma, I Puritani), écrivit ce chef d'oeuvre en un mois, en reprenant des passages musicaux d'un "Hernani" qu'il avait commencé à composer sur la commande du duc Litta de Milan. Bellini (mort à 33 ans) est tout à la fois un excellent belcantiste et les airs comportent leur part de pyrotechnie vocale et un compositeur plus classiquement "lyrique" donnant à ses interprètes du "beau" chant expressif qui ne se résume pas aux prouesses vocales.
Le choix de Zimmerman ne fonctionne pas en permanence, le personnage du comte, par exemple, arrive aux répétitions sur un air qui n'a pas de sens pour son personnage à la ville et nombre d'autres situations sont ainsi en contradiction. Mais les chanteurs, tous excellents (et même exceptionnels) acteurs, s'en donnent à coeur joie dans cette sorte de parodie d'une répétition avec ses diva (Natalie Dessay sublime comédienne quand elle "joue" à l'essayage de perruques ou de chaussures), ses histoires de coulisse et finalement ses plus belles scènes les plus émouvantes : Natalie Dessay chantant "Ah, non credea mirarti" en pleine scène de somnambulisme, sur une planche s'avançant au dessus de l'orchestre par exemple.
Mais, on sera, comme presque toujours le concernant, critique à l'égard du chef d'orchestre Pido, qui semble toujours vouloir "couper les ailes" de ces musiques de la première moitié du 19ème siècle (Bellini, Rossini, Donizetti) et offre une direction sans imagination, il n'en est pas de même pour le plateau vocal. Certes, Natalie Dessay a un peu "perdu" alors la légèreté de ses vocalises et de ses trilles, la voix n'a pas la profondeur de certaines de ses illustres ainées ("la Stupenda" notamment) mais son timbre n'en est pas moins magnifique jusque dans son caractère pur et juvénile (un de ses secrets de fabrique) tout comme d'ailleurs son engagement scénique et la crédibilité de son jeu pour incarner cette jeune Alvina victime innocente de son somnambulisme qui la fait accuser d'infidélité à son fiancé le beau et sombre Elvino du magnifique Juan Diego Florez. Ce dernier est tout simplement éblouissant, belcantiste rossinien dans l'âme, il parvient cependant à donner une dimension lyrique splendide, et qui vous arrache des larmes, à son personnage qui se croit trompé et son grand air "Tutto è sciolto " est interprété avec l'intelligence musicale d'un musicien exceptionnel et l'humanité d'un interprète de grand talent. Lui et Natalie Dessay avaient triomphé ensemble sur de très nombreuses scènes (NY, Paris, Londres) dans la fameuse mise en scène de Laurent Pelly pour la Fille du régiment de Donizetti. Leur entente sur scène est parfaite. Les autres rôles ne sont pas en reste : le classique comte assez sobre pour éviter le burlesque de Michele Pertusi, une de ces valeurs sures de l'opéra de ces quinze dernières années, la Lisa de Jennifer Black ou la Teresa de Jane Bunnell et surtout l'Alessio très enlevé de Jeremy Galyon. Et puis tout se termine pas un essayage général des costumes tyroliens et des saluts de toute la troupe accueillis par une standing ovation (mais bon au MET...)



31 mai Arabella (Strauss) – Vienne
Ce soir l'Arabella de Camilla Nylund, à l'Opéra de Vienne, représentation de 2017 pour la dernière oeuvre que composa Richard Strauss avec l'écrivain Hugo von Hofmannsthal, qui mourut avant que ce dernier chef d'oeuvre ne fut achevé. Ce ne fut le cas qu'en 1933, et l'oeuvre, mélancolique et noire, qui dépeint une Vienne très décadente, est marquée la période qui l'a vu naitre. Les deux soeurs sont les jouets de leurs parents, aristocrates ruinés. L'ainée Arabella doit faire à tout prix un riche mariage, il faut donc cacher la ruine des parents et Arabella s'emploiera à trouver quand même le bonheur en se métamorphosant en jeune femme résolue et généreuse. Sa soeur Zdenka est déguisée en garçon (Zdenko) puisque ses parents "n'ont pas les moyens d'élever  deux filles" et reprendra son identité, elle aussi, au prix d'une longue rupture de ses sentiments et de son comportement. Camilla Nylund est une belle soprano que j'ai déjà vue dans de très nombreux rôles dont Salomé et Rusalka à l'opéra Bastille, mais aussi récemment en Kaiserin à Berlin, qui chante Wagner et Strauss tout particulièrement. Son Arabella est fort bien chanté, tout juste notera-t-on quelques habituelles difficultés dans les aigus un peu tirés (le rôle est très "tendu") mais le médium est superbe, le timbre coloré et  la soprano finlandaise, qui a gardé une silhouette jeune très élégante, est une Arabella tout à fait convaincante. Mais personnellement, j'ai surtout été frappée par la Zdenka de la jeune soprano Chen Reiss, qui irradie de beauté et de talent dans ce rôle souvent ingrat du garçon manqué qui tel le vilain   petit canard du conte d'Andersen, devient superbe cygne à l'issue d'un long combat. La partition est également difficile et la jeune femme en donne une très belle lecture, tessiture parfaite et acrobaties vocales données sans effort apparent. Bo Skovhus est un Mandryka idéal, loins des interprètes souvent trop "policés" et trop élégants qui s'emparent de ce rôle de baryton passionnant sur le plan musical comme sur le plan scénique. Arabella tombera amoureuse de ce riche propriétaire campagnard et peu au fait des hypocrisies mondaines de Vienne et réciproquement. Il faut absolument que l'homme soit séduisant, mais aussi un peu "brut de décoffrage" et que cela s'entendre dans un chant un peu heurté typique des partitions géniales de Strauss (Richard). Bo Skovhus qui passe volontiers de Mozart (Almaviva) à l'opéra contemporain (Lear, Bérénice) pour ne citer que ses rôles à l'ONP, est aussi un familier de Strauss (Capriccio, Arabella) et offre toujours une interprétation très personnelle de ses rôles. Il est tout à fait à son affaire aux côtés des deus soeurs. Les parents hystériques, Stéphanie Houtzeel et Wolfgang Bankl, surjouent sans doute un peu mais leurs rôles s'y prêtent et l'ensemble est bien exécuté. C'est moins vrai pour la Milli assez terme de Daniela Fally. Enfin Herbert Lippert est un excellent ténor pour Mattéo mais son âge (62) le handicape un peu pour rendre crédible son personnage en gros plan...
La mise en scène de Bechtolf en transposant l'action dans les années 30 rend une partie du texte anachronique, tout en recréant une atmosphère de "fin de règne" assez fidèle à l'esprit de l'oeuvre.
Rien à dire de spécial sur la direction d'orchestre d'un habitué de l'opéra de Vienne, le chef d'orchestre Peter Schneider qui manque un peu d'imagination...


2 juin Trouble in Tahiti (Bernstein) Opera North 
Ce soir un "Bernstein" pour changer un peu😏. Charmant et grinçant petit opéra de 40 minutes en sept scènes avec choeur de trois chanteurs assurant le"récit-commentaires " de l'histoire (manière choeurs antiques mais musicalement très comédie musicale de Broadway) avec beaucoup d'élan et d'humour. C'est l'histoire d'un couple d'une chic banlieue typique de la réussite américaine, qui se défait faute d'assumer la part de rêves et de fantasmes étouffés par le train-train quotidien et monotone. Beaucoup d'airs d'elle, de lui, des deux ensembles, évoquent la ligne musicale du futur west side story, de même d'ailleurs finalement, que la peinture critique du "bonheur" artificiel qui cache la réalité. Elle a fait un rêve où elle se perdait dans un jardin détruit et sans issue, elle va voir un film (qui donne son titre à l'opéra) qu'elle raconte en se moquant mais en le "vivant" de manière saisissante, ils se retrouvent à la fin... Peut-être ?
C'est enlevé, agréable, fort bien chanté, surtout par Wallis Giunta, magnifique interprète de Dinah mais aussi, un petit cran en dessous par Quirijn de Lang en Sam, et on remercie l'Opera North de nous offrir cette captation très bien réalisée du premier opéra écrit et composé par Leonard Bernstein. A revoir.


3 juin – Elektra (Strauss) – Opéra de Vienne
Ce soir Elektra, Strauss, Vienne, Stemme...pour une représentation de 2015.
Elektra de Richard Strauss est un opéra "coup-de-poing", une oeuvre où la musique torrentielle ne laisse que rarement place à la poésie lyrique, illustrant les dialogues magnifiques de Hugo von Hofmannsthal  (ce fut leur première collaboration) ; c'est le long cri de douleur et de haine d'Electre fille d'Agamemnon, roi de Mycènes, assassiné par sa femme Clytemnestre et son amant Egysthe au retour de la Guerre de Troie. C'est la préparation presque hystérique d'une vengeance où Electre, très modernisée dans la pièce de Hofmannsthal (comme elle le sera dans la pièce éponyme de Giraudoux) rêve de sang, prédit à sa propre mère une mort violente à laquelle elle aspire jour et nuit, tente d'armer le bras de sa jeune soeur Chrysothemis (qui veut vivre une vie "normale"), et jouit enfin du retour de son frère Oreste qu'elle a mis à l'abri dans son enfance et qui sera le bras de la vengeance enfin assouvie.
Violence des sentiments et des actes mais aussi "humanité" et faiblesses des humains jouets des dieux dans le terrible destin "historique" des Atrides. Cet opéra, outre une orchestration moderne et époustouflante des cuivres et des percussions notamment, comprend quelques superbes monologues et des duos de choc entre les différents protagonistes : Electre et sa soeur, Electre et sa mère, Electre et son frère...
Mikko Franck à la direction, profite des sonorités prodigieuses de l'orchestre de l'Opéra de Vienne ; on regrettera quelques"facilités" du maestro oubliant parfois les chanteurs dans le torrent de décibels des cuivres notamment pendant le récit halluciné de Clytemnestre racontant ses rêves. 
Le plateau vocal en revanche, est irréprochable : dominé par l'extraordinaire Elektra de Nina Stemme, dont la voix ne faiblit  jamais, tenant les notes hautes avec force sans jamais crier, dont la colère est perceptible à chaque instant, visage buté, dos vouté, haine explosive, la soprano donne un portrait saisissant de l'héroïne d'une grande maitrise vocale. A ses côtés la jeune Chrysotémis de Gun-Britt Barkmin, est toute en fébrilité juvénile et printanière, les aigus aisés (mais parfois un peu stridents), la voix à fleur de peau, et réussit à chaque seconde à nous émouvoir par l'expression de ses contradictions.
Extraordinaire Clytemnestre également de Anna Larsson, en femme mûre mais toujours élégante (quoique très décatie...),  un chant très nuancé qui décrit une certaine détresse de la meurtrière qui doit à son tour être assassinée.
Et les hommes ne sont pas en reste dans cet opéra de femmes : l'Oreste de Falk Struckmann tonne littéralement passant l'orchestre sans difficulté de son beau son de bronze (la scène où Electre reconnait son frère est l'une des plus belles qui soit) et l'Egiste lâche et ridicule de Norbert Ernst est parfait.
La mise en scène de Uwe Eric Laufenberg, contestée pour sa modernité, est pourtant parfaitement fonctionnelle, si on oublie la première scène assez décalée. Et l'ascenseur  symbolise bien la déchéance de ceux qui ont voulu s'élever au rang des dieux. Magnifique lumière des éclairages qui forment un halo autour des silhouettes des conspirateurs dans l'obscurité de la cour...
Une production de 2015 que j'ai revue avec émotion même si celle-ci n'atteint pas la perfection (loin s'en faut) de celle de Chéreau à Aix en 2013.

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