Madame Butterfly à l'Opéra de Munich, éternelle et émouvante Cio-Cio San

Madame Butterfly



Giacomo Puccini

(Création à Milan, 1904)


Opéra de Munich, représentation du 28 octobre 2023

 

 

Le spectateur averti est toujours inquiet quand il voit arriver devant le rideau, avant les premières notes de l’orchestre, une silhouette avec micro. C’est généralement pour annoncer la défection de l’une des stars attendues. Ce soir à Munich, c’était, hélas, Sonya Yoncheva qui déclarait forfait. Elle était très attendue en Cio-Cio San, rôle qu’elle a encore peu incarné et le bel opéra de Munich, était rempli à craquer en son honneur.

C’est Elena Stikhina qui a eu droit à une superbe ovation après une prestation éblouissante.

 

Éternelle Butterfly dans une belle mise en scène

Puccini a toujours donné des rôles importants aux femmes dans ses opéras. Elles ont du caractère, du courage, des opinions et même une opiniâtreté remarquable. Pourtant, elles sont décrites comme engluées dans les préjugés qui donne la part belle aux hommes, et doivent se battre, parfois désespérément pour sortir de leur condition. Le plus portrait à ce titre est sans doute celui de cette Cio-Cio San, « papillon » épinglé et qui se brûle les ailes, victime expiatoire des égarements égoïstes du lâche Pinkerton.

Rarement rôle de ténor aura d’ailleurs été à ce point antipathique tout en ayant des airs divins à chanter ce qui ne rend pas toujours la tâche facile à l’interprète qui ne désire pas se contenter de regarder le public la main sur le cœur et le verbe haut, pour regretter le temps des fleurs et du bonheur avec cette petite geisha qu’il a oublié aussitôt rentré chez lui et qu’il n’a même pas le courage d’affronter à son retour trois ans trop tard.

Cette toute jeune Butterfly (14 ans seulement) est donnée en mariage à l’officier américain FB Pinkerton, un peu comme la maison qu’il a acheté pour 99 ans mais dont il peut rompre le bail chaque mois. Il repart et oublie cette fleur du Japon innocente et confiante.

Admirable jeune femme, elle a la naïveté de croire à cette Amérique libre à laquelle elle appartient désormais, croit-elle (Madame Pinkerton, rectifie-t-elle d’un air pincé quand on l’appelle encore Butterfly. Et puis les printemps passent et le bateau ne revient pas. Le consul Sharpless pétri de bonté et honteux des actes de Pinkerton tente bien de la convaincre de renoncer à son « mari » dans un des plus beaux duos musicaux qui soit. Mais elle a confiance. Elle ne croit pas qu’il ait pu l’oublier et surtout il ne pourra pas oublier le fils qu’il lui a laissé…Elle est là, debout, avec l’enfant pour montrer le fruit de leur mariage car son honneur ne supporterait pas que ce ne fut pas le cas.

Le bateau est annoncé et Butterfly qui se rhabille en japonaise, attend. Chœurs à bouches fermées, morceau le plus émouvant qui soit, monologue sublime de la geisha abandonnée et final dramatique. Elle laisse l’enfant à la femme de Pinkerton (la vraie, O cruauté) pour garantir son avenir et se fait justice, désespérée.

La mise en scène de Wolf Busse est en place depuis 1973 à Munich. J’avais déjà eu l’occasion de la voir avec d’autres distributions. Elle fonctionne bien avec son décor unique, une maison japonaise, petit pont sur le côté et jardin dans le fond quand les panneaux s’ouvrent. Les décors d’Otto Stich et les costumes de Silvia Strahammer, n’ont rien perdu de leur côté délicieusement suranné, et la gémellité entre Cio-Cio San et Suzuki est particulièrement souligné par la similitude de leurs robes. 

Il est rare que Madame Butterfly fasse l’objet de transpositions audacieuses, l’œuvre ne s’y prête pas et la plupart des mises en scène allient simplicité et évocations discrètes de l’atmosphère japonaise omniprésent dès la première scène, puis au travers de la plupart des personnages secondaires, des chœurs de femmes qui entourent Butterfly, de l’évocation du rôle des fleurs des fameux cerisiers au printemps.


 

Les beautés de l’orchestre et des chœurs de l’Opéra de Bavière

La fougue de Daniel Oren, toujours particulièrement inspiré par Puccini, fait merveille ce soir, même si lors de l’acte 1, les déferlements instrumentaux avaient un peu tendance à couvrir les chanteurs. Ensuite, on ne sait que citer, tant les moments climax fort nombreux de l’œuvre, sont subtilement mais énergiquement soulignés, thèmes des différents personnages et des situations, subtil mélange de musiques occidentales et orientales, thèmes récurrents mais souvent transformés de la partition, partie orchestrale précédant la scène finale, chœurs à bouches fermés sublime (bravo au chef des chœurs, Christoph Heil). L’orchestre de l’Opéra de Munich, qui fête ses cinq cents ans et a connu de très nombreux chefs prodigieux dont on peut voir les portraits dans les galeries du parterre et des étages, a toujours ce son brillant et impeccable, ce sens des nuances et de l’expressivité, cet art d’accompagner les chanteurs tout en jouant sa propre partition.

 

Le triomphe d’Elena Stikhina

Elena Stikhina a triomphé ce soir et c’était totalement mérité. Outre un remplacement de dernière minute (Yoncheva était encore sur le programme du soir), qu’elle a non seulement chanté avec brio mais aussi joué et même incarné, sur scène, elle a montré que Puccini lui allait bien mieux que Verdi et que sa voix y trouvait un confort qui lui manquait parfois dans des rôles comme Aida ou Leonora.

Cette soprano russe, découverte en Sieglinde puis en Brünnhilde (dans Siegfried uniquement), alors qu’elle était dans la troupe du Mariinski lors des tournées de Valéry Gergiev, a ensuite et très rapidement, abordé toute sorte de rôles, sans doute trop différents les uns des autres, montrant souvent des signes de faiblesse notamment dans les aigus. Ce soir, rien de tel, Cio-Cio San lui va très bien et elle y est extrêmement émouvante. La voix est charnue et veloutée, parée de nombreuses variations de couleurs, et si le timbre parait parfois un peu générique -contrairement à celui de Yoncheva- on apprécie son homogénéité sur toute la tessiture et le souffle maitrisé qui l’accompagne. Et puis elle sait faire évoluer un personnage de l’enfant mûre mais naïve mais la femme blessée et résolue à mourir en alourdissant progressivement style, voix et même postures et gestes. Ses grands airs sont d’ailleurs salués, notamment le Un bel dì, vedremo, célèbre de l’acte 2 et le déchirant Che tua madre dovrà.


 

Atouts et faiblesses d’une équipe

C’est le B. F. Pinkerton du jeune ténor Freddie De Tommaso qui est le plus décevant dans son rôle ingrat. Il peine manifestement à jouer son personnage, et déambule sur la scène sans véritablement savoir que faire face à une Butterfly très active et très entreprenante.

La voix est inégale, parfois très puissante, parfois peu audible, comme si la maitrise du volume était encore difficile pour ce ténor sans doute poussé un peu trop vite sur les grandes scènes internationales. C’est dommage car ses capacités vocales sont loin d’être négligeables mais il a manifestement besoin de parfaire une technique trop sommaire d’où sont absentes toutes les nuances dans lesquelles excellent les meilleurs chanteurs et dont Munich est coutumier. Le célèbre Addio, fiorito asil est chanté comme lors d’un récital où il s’agit de briller plutôt que comme l’expression d’un jeune officier qui semble enfin réaliser le malheur qu’il a semé autour de lui.

A ses côtés le Sharpless de Boris Pinkhasovich, que nous avons vu ici même, il y a deux ans, en magnifique Platon dans Le Nez de Chostakovitch,  montre qu’il est un baryton à multiples talents. Il incarne véritablement ce personnage tout à la fois diplomate et ami de Pinkerton, qui désapprouve son attitude désinvolte et va tenter de résoudre au mieux la quadrature du cercle. Son dialogue avec Cio-Cio San à l’acte 2, Ora a noi. Sedete qui, musicalement irréprochable (le thème obsessionnel très orientalisé par Puccini est fascinant), est l’un de ces grands moments d’opéra où les larmes vous montent aux yeux et où le calme apparent de deux êtres qui semblent tranquillement deviser va se terminer par le coup de théâtre de la présentation de l’enfant après une montée de la tension perceptible et très bien interprétée. 

Nous aurons également de nombreux compliments à adresser à la délicate Suzuki         

de Annalisa Stroppa, qui confirme elle aussi, outre ses belles capacités vocales, un art sensible de la nuance et du beau chant, qui sied parfaitement à cette suivante, sorte de double de Butterfly, qui souffre des mêmes maux et partage sa douleur (l’absence du « mari », comme la dégradation dramatique de leur situation financière) tout en tentant de la convaincre que Pinkerton ne reviendra pas. Le timbre est magnifique et se marie si bien avec celui d’Elena Stikhina qu’on a parfois l’impression touchante d’entendre une seule et même voix.

Et comme toujours à Munich, nous nous félicitons de la richesse vocale et scénique des rôles secondaires. Citons notamment le Goro de  Nakodo Ya-Chung Huang qui tient avec zèle son rôle d’entremetteur, beau timbre clair et bien projeté et grande présence sur scène, celui de l’imposant Prince Yamadori du baryton Christian Rieger, habitué de Munich, l’effrayant Oncle Bonzo de la basse Alexander Köpeczi.


Une belle soirée émouvante et juste à l’Opéra de Munich que l’on retrouve toujours avec plaisir et qui maintient une qualité qui garantit son succès et la présence massive d’un public, pour partie très jeune, et fidèle.


📸 W. Hösl

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