Concert Jeanne Leleu à la BNF : hommage à une compositrice tombée injustement dans l'oubli
Découvrir une compositrice oubliée, Jeanne Leleu
L’injuste oubli
En écoutant le beau concert proposé ce lundi 22 janvier dans la superbe salle ovale de la Bibliothèque nationale, on ne peut s’empêcher de se demander quelle malédiction a frappé l’œuvre de Jeanne Leleu pour qu’elle tombe à ce point dans l’oubli ? L’enregistrement soigné proposé par la Boite à Pépites dont nous vous avons parlé récemment, est là pour réparer cette injustice. Les morceaux choisis offerts hier soir par le piano, le quatuor et la voix, révèlent encore davantage à quel point l’art de la compositrice est ludique, riche, musicalement passionnant et de toute évidence très agréable à jouer.
Si l’on reconnait aisément l’influence positive de ses « maîtres », Ravel qui l’admirait beaucoup en retour et Debussy qu’elle considérait comme le compositeur de son cœur, la pianiste virtuose a son style propre et propose de bien jolies mélodies, harmonies, des fantaisies excitantes et de beaux mariages entre les instruments, voix comprise.
A la recherche d’un concerto perdu
Héloïse Luzzati, en nous présentant la compositrice et le concert, rappelle, comble de la frustration, qu’une de ses œuvres, un concerto pour piano, composé en 1935, adoré des critiques de l’époque, a carrément disparu corps et biens. Il est donc possible (et peut-être pas si rare) qu’une partition de musique du XXè siècle ne laisse aucune trace, n’ayant pas été enregistré en son temps, ni plus tard, le manuscrit ayant peut-être été offert à un collectionneur disparu. Les yeux brillants, la jeune et talentueuse violoncelliste, est partie à sa recherche et on espère que ce concert comme le CD vont contribuer à réveiller tous ceux qui sont susceptibles d’avoir des idées sur la question.
Ravel et Leleu
Astucieusement composée, la soirée commence par deux morceaux de Maurice Ravel, dont le fameux Ma mère l’Oye que la jeune Jeanne Leleu créée en 1910. Après cette délicieuse mise en bouche, on entre avec gourmandise dans le vif du sujet, avec ces étonnants et puissants Sonnets de Michelangelo mis en musique par une Jeanne Leleu qui n’a pas trente ans, en 1924, alors qu’elle commence un séjour fructueux à la Villa Médicis. L’année précédente, elle a enfin obtenu le grand prix de Rome avec sa cantate, Beatrix. Elle est la troisième femme lauréate après Lili Boulanger et Marguerite Canal.
Et à l’écoute de ces sonnets, magistralement interprétés par Marie-Laure Garnier au chant, Celia Oneto-Bensaid au piano, on entend toute la richesse de ces notes mises sur des œuvres littéraires et poétique fortes.
Le spectacle vivant en direct est toujours infiniment plus émouvant que l’écoute d’un CD. Tout en reprenant l’essentiel de que l’enregistrement m’avait inspiré dans la découverte de l’œuvre et l’appréciation positive de ses interprètes, j’ajouterai que Marie-Laure Garnier nous offre une présence scénique magnifique en plus de la justesse de son incarnation. Elle vit littéralement et avec beaucoup de passion, ces petites saynètes harmonieuses qui allient force et douceur dans un contraste permanent. La soprano possède une voix ronde et boisée, solidement charpentée et une technique admirable qui lui permet de rendre justice à une partition colorée et remplie de nuances.
Excellente idée d’avoir ensuite offert une sorte de doublé au piano, avec le Prélude en la mineur de Maurice Ravel d’une part, l’un des morceaux de « En Italie » de Jeanne Leleu d’autre part. Sans exagérer les similitudes, l’on sent incontestablement des influences artistiques communes. L’interprétation virtuose de Celia Oneto-Bensaïd complète la richesse artistique de la soirée et l’acoustique de cette salle qui recèle tant de trésors dans ses rayons, se révèle impressionnante.
Le miracle du quatuor
Mais c’est sans doute le quatuor avec piano, et ces trois mouvements si différents, qui représente la cerise sur le gâteau. Le choix de cet opus de très grande qualité, permet d’entendre les talents d’orchestration de la compositrice. Même à l’échelle d’une œuvre écrite pour une formation de chambre (avec piano), l’on perçoit parfaitement à quel point l’artiste savait composer des phrases musicales qui se répondent, des thèmes récurrents envoûtants. L’on ressent le plaisir des instrumentistes à exécuter une œuvre aussi vive et aussi agréable.
Et ils nous procurent, tous ensemble, une dernière joie avec ce bis, une mélodie chantée par Marie-Laure Garnier accompagnée par tous les instrumentistes, le violon d’Alexandre Pascal, l’alto de Léa Hennino, le violoncelle de Héloïse Luzzati et le piano de Célia Oneto Bensaïd.
Merci au label « La Boite à pépites » et à ses animatrice, merci à toutes celles et tous ceux qui oeuvrent aussi efficacement pour rendre leur place à ces talentueuses compositrices.
Photos Jad Sylla
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