Munich, Cuvilliés Theater : Lucrezia/Der Mond

Lucrezia/Der Mond : dynamisme et qualité pour deux oeuvres dans la même soirée

Le Studio de l’opéra de Bavière (Opernstudio) créée une nouvelle production tous les ans avec l’ensemble de ces membres, mettant à l’honneur les jeunes chanteurs. Cette année le choix s’est porté sur deux œuvres rares, datant toutes les deux des années 30, Lucrezia de Otorino Respighi d’une part et Der Mond (la lune) de Carl Orff d’autre part.

Ayant décidé de regrouper ces deux œuvres et de les présenter dans le charmant bijou rococo qu’est le Cuvilliés Theater, niché au sein de la Résidence des princes de Bavière, il fallait pour respecter la taille de la « fosse », jouer des versions réduites.

Les arrangements orchestraux pour petite formation musicale ont été assurés par Richard Whilds pour Lucrezia et  par Takenori Némoto pour Der Mond


Les deux ensembles sont placés sous la direction de Ustina Dubitsky, elle-même ancien membre des chœurs d'enfants de l’Opéra de Bavière.


La mise en scène des deux œuvres est le résultat du travail de la réalisatrice ukrainienne Tamara Trunova, qui traite du chaos qui mène à la guerre.




Concernant Lucrezia, dont on connait l’histoire, le dérèglement qui amène à son viol, la vengeance de son époux à la guerre et la honte jetée sur elle à son suicide, est traité d’une manière symbolique parfois un peu outrée : Lucrezia est enfermée dans une cage de verre, observe impuissante la société des hommes représentées par quelques archétypes, et subit l’outrage et la violence avant de mourir. La plus grande trouvaille de la mise en scène est d’avoir placé la « voix » ce personnage chanté par une mezzo qui raconte l’histoire, dans l’une des loges de côté au deuxième étage. Notons cependant que la visibilité assez problématique de ce petit théâtre à l’italienne, empêche tous les spectateurs situés du même côté de cette loge, de voir correctement la chanteuse. 



Pour le reste, le décor et les costumes sont de belle facture dans une esthétique « années 30 », époque de la composition de l’œuvre, et l’on retrouvera pour Der Mond, ces chapeaux melons et costumes croisés typiques de l’entre-deux-guerres. Une certaine incohérence dont on peine à trouver l’explication, met dans les mains des protagonistes de nombreux éléments électro ménagers beaucoup plus moderne comme un batteur électrique ou une armoire congélateur. 


Clin d’œil de l’une à l’autre des mises en scène, le petit château en papier découpé de Der Mond figure en miniature sous une cloche de verre dans Lucrezia


Par contre il n’est pas aisé de deviner pourquoi l’équipe de Der Mond assiste à la représentation de Lucrezia en contemplant des projections de femmes couteau à la main, se suicidant. Simple effet de filage entre les œuvres, moyennement convainquant tout simplement parce que, en dehors de l’époque où elles ont été composées, ces deux opéras ne se ressemblent guère et ils ne sont même pas chantés dans la même langue (italien pour le premier, allemand pour le second).





Ottorino Respighi est mort avant d’avoir terminé son opéra et ce dernier a été achevé par sa femme et l’un de ses élèves. Musicalement, on reste dans une facture assez classique notamment sur le plan vocal, avec des très beaux airs lyriques magnifiquement interprétés à Munich par une équipe de très grands artistes : superbe « voix » assurée par la mezzo, Natalie Lewis qui entre en écho et en dialogue avec la belle Lucrezia de la soprano Louise Foor. Les deux artistes dominent nettement le plateau vocal et on leur doit les plus grands moments d’émotion, d’autant plus que Louise Foor incarne une Lucrezia victime et combattante de très belle facture. Les deux autres voix féminines sont en phase,  la Servia de Xenia Puskarz Thomas, ou la Venilia d’Eirin Rognerud. En Collatino, on salue la prestation du tenor Liam Bonthrone, belle voix très bien projetée comme le Bruto du ténor Zachary Rioux. Là aussi les deux timbres, un peu différents, font une belle alliance musicale, de même d’ailleurs que les clés de fa telles le Tarquinio de Thomas Mole, le Tito de Vitor Bispo, l’Arunte de Paweł Horodyski sans oublier les deux basses Spurio Lucrezio de Paweł Horodyski et le Valerio de Vitor Bispo. Car il faut une belle équipe d’artistes masculins également pour assurer les nombreuses parties chantées ensemble qui donnent à l’œuvre tout à la fois une ossature vocale solide et une harmonie des sons tout à fait agréable.


Der Mond a été créé à Munich en 1939 et ce n’est que la troisième fois qu’une nouvelle production voit le jour dans la maison bavaroise. Ceux qui connaissent Carmina Burana ne sont pas dépaysés par le style musical de Der Mond, où les ensembles dominent la représentation avec. chœurs réduits mais très rythmés et chants scandés comme lors d’une parade. Concernant la mise en scène, elle épouse la dynamique musicale et celle de cette histoire un peu loufoque de lune confisquée et servant à l’enrichissement personnel de plusieurs individus avant de se trouver morcelée puis rassemblée et rétablie dans ses fonctions.

C’est plutôt, là aussi, agréable à regarder et à écouter d’autant plus que les qualités du plateau vocal sont incontestables : on y retrouve le ténor Liam Bonthrone qui incarne le narrateur, les quatre compères qui volent la lune sont Gabriel Rollinson, Vitor Bispo, Haozhou Hu et Paweł Horodyski, tandis que le fermier est le beau baryton Thomas Mole et le vieil homme appelé Pierre, la basse Daniel Noyola.


Une soirée divertissante sous le signe de la qualité et du beau travail d’équipe.


Photos W. Hösl

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