Munich : Un « Élixir d’amour » rempli de vitamines !
L’opéra de Munich reprenait pour quatre représentations l’Elixir d’Amour de Donizetti sous la direction du très énergique Michele Spotti, avec une très belle distribution. Plaisir d’une soirée réussie.
Donizetti n’était pas totalement satisfait de son « Elisir d’amore » quand les premières répétitions ont commencé en 1832 à Milan. Compositeur prolifique, il composait plusieurs œuvres lyriques par an et cet opéra bouffe (ou « Dramma Giocoso ») fut achevé précipitamment par le librettiste poète érudit Felice Romani, s’inspirant lui-même du livret écrit par Eugène Scribe pour « Le Philtre » d’Auber.
Le compositeur italien, l’un des rois du bel canto, s’inquiétait de l’avenir de l’une de ses œuvres aujourd’hui les plus souvent jouées et devenu un véritable classique incontournable de la comédie douce-amère, basée sur les personnages de la commedia dell’arte qui auraient eux-même absorbé un filtre magique leur conférant des sentiments d’une profondeur largement supérieure à la tradition.
Car l’Elisir d’amore n’est pas qu’un amusement, malgré quelques scènes absolument désopilantes et traitées comme telles, notamment par les deux « bouffes », le baryton Belcore et la basse Dulcamara. Il y a dans le récit des amours contrariées du grand Pierrot, le naïf paysan illettré Nemorino, quelque chose de tragique illustré notamment par son obsession de la mort et sa recherche vaine d’une « solution » magique pour vivre la passion de Tristan et Iseult, ce roman que la brillante Adina est en train de lire.
Musicalement il en est de même : les scènes de cavatine avec cabalette très belcantistes et notamment le fameux duetto Dulcamara – Adina, ponctuent une partition où même les récitatifs sont « dansants », le tout mené à un rythme effréné et très jouissif. Mais le plus célèbres des airs, véritable signature pour tout ténor lysique, est la fameuse Romanza de Nemorino, « Una furtiva lagrima » à laquelle répond un peu plus tard l’Aria tout aussi romantique d’Adina finalement tombée amoureuse de son Pierrot lunaire, « Prendi, per me sei libero ».
Les fantaisies de la mise en scène
De ce point de vue la mise en scène de David Bösch, qui provoqua des réactions contrastées lors de sa création en 2009 à Munich, vieillit très bien puisqu’elle restitue de manière loufoque, ce sens du tragi-comique propre à l’opéra et sans lequel il n’aurait sans doute pas fait une telle brillante carrière.
Le trait est grossi, le village où évoluent les protagonistes a pris des allures post-apocalyptiques évoquant l’univers de Fellini. Les costumes sont autant de fanfreluches dégotées sur un marché, des vêtement ordinaires à ceux du bal, des uniformes de soldats revenus d’un enfer lointain à l’accoutrement du Doctore qui arrive sur sa drôle machine comme parachuté d’une planète lointaine. Lumières, ballons, pétards, bruitages, sont autant d’effets artificiels pour mimer la fête d’une vie villageoise assez sinistre où l’on tente de croire et de faire croire que l’on peut encore s’amuser.
La direction d’acteurs précise et imagée, est en phase totale avec l’aspect rythmé et endiablé de la composition musicale, et les personnages sont mis à rude épreuve pour réussir un challenge de tous les instants : on danse, on saute, on court, on se croise, on s’embrasse, on grimpe sur le mât de cocagne (pardon le lampadaire), on se juche sur les hauteurs de la grosse boule à visage humain du charlatan, on s’asperge allègrement du Bordeaux faux filtre d’amour, on se pourchasse dans tous les sens, le tout suivant une chorégraphie précise (le désordre s’organise sur scène sinon c’est le chaos) qui a certainement demandé beaucoup de travail aux solistes comme aux chœurs qui jouent si bien la foule des villageois.
Le public plutôt sage durant le spectacle, n’ovationnant réellement que la romance du ténor et le fameux duetto, explose de joie lors des dernières notes alors que les amoureux réconciliés se sont juchés très haut au-dessus de la scène dans une position acrobatique impressionnante.
Un très bon spectacle
J’ai déjà vu deux fois – en 2018 puis en 2019- cette mise en scène et je dois dire qu’elle fonctionne très bien, suscite le rire et l’émotion aux bons moments et entre en phase parfaite avec le sens et le rythme de l’œuvre.
Magnifiquement dirigé par le jeune chef Michele Spotti, très à l’aise avec le bel orchestre de l’opéra de Munich et surtout, avec le répertoire italien belcantiste, cet Elisir d’amore nous a enivré durant toute la soirée.
Commençons par le charmant et touchant Nemorino du ténor arménien Liparit Avetisyan, fabuleux comédien et bon chanteur, qui habite le rôle avec autant de crédibilité et d’entregent que Vittorio Grigolo vu précédemment à Munich dans cette même production et dans les pas duquel il a manifestement mis les siens. Son aisance est confondante sur scène, il joue gagnant dans son face à face avec la belle Adina dont il ne peut que conquérir le cœur à force de tentatives apparemment désespérées et très déjantées pour la conquérir. Et la vie de ténor n’est pas toujours celle du bellâtre qui a le beau rôle puisqu’en l’espèce, il passe pour l’idiot du village, doit grimper sur un lampadaire à bonne hauteur pour déclarer son amour, et déambuler en petite tenue pour simuler fort bien une ivresse totale tandis que les femmes du village le draguent sans vergogne ayant eu connaissance de sa bonne fortune.
Vocalement, le ténor se sort bien de ce rôle difficile, malgré quelques aigus un peu forcés, et sa vaillance est constante avec un beau final fort émouvant. On a connu plus belcantiste voire plus lyrique et le timbre est parfois un peu ingrat mais Donizetti n’a pas écrit ce rôle pour valoriser le beau chant en priorité. Il s’agit bien plutôt d’un rôle de composition pour ténor expressif doté d’un véritable talent de comédien et de ce point de vue, Liparit Avetisyan, est parfait.
Mané Galoyan est également arménienne et a été formée au conservatoire Komitas d’Erevan puis au Grand Opéra de Houston et c’est en Gilda (Rigoletto) au Lyric Opera de Chicago qu’elle a connu son premier grand succès. Elle nous avait déjà impressionnés dans le rôle de Berthe, dans la version concert du rare Prophète de Meyerbeer, devenu CD récemment. Elle aussi démontre une belle aisance sur scène, d’abord en fille instruite un peu chichiteuse et dédaigneuse à l’égard des villageois ordinaires, puis peu à peu tombant sous le charme de Nemorino et de son amour dévastateur. La voix est claire, riche en harmoniques, bien projetée, les vocalises et autres ornementations du bel canto très bien maitrisées par une artiste qui possède à la fois la puissance et la technique pour rendre justice à ce rôle et nous séduit dès son « Della crudele Isotta ». Assurant avec talent les duos et trios, sa voix domine très souvent les ensembles avec chœurs et le duo « Io son ricco, e tu sei bella » avec Dulcamara obtient un triomphe mérité tant le style belcantiste est à l’honneur avec ses accélérations syllabiques, ses staccato suivis de legato, ses vocalises, notes piquées et autre ornementation sont bien maitrisées par les deux protagonistes.
Je ne crois pas que Munich ait donné une seule fois cet Elisir depuis 2009 sans Ambroglio Maestri en Dulcamara. Il a littéralement créé ce personnage bouffon et trompeur, dans sa salopette kaki et avec ses accessoires prétendument magiques, descendu de son engin improbable et pétaradant de partout. Et il n’est pas qu’excellent comédien ! Il chante très très bien dans le style requis et c’est toujours un grand plaisir de l’entendre dans ce rôle (comme dans Falstaff une autre de ses brillantes réussites).
Le maillon un peu faible est le Belcore du baryton polonais Andrzej Filończyk, qui est lui aussi tout à fait à l’aise sur scène et excellent comédien dans ce rôle de soldat bouffon et particulièrement entreprenant et grossier (ce qui lui vaut d’ailleurs une ovation au rideau), mais dont le chant est un peu frustre et souvent à la limite de la justesse. On se rappelle l’admirable prestation de Mattia Olivieri sur cette même scène il y a 5 ans et l’on regrette un peu que le rôle soit souvent distribué à un chanteur qui ne possède pas suffisamment l'art du bel canto, alors qu’il requiert notamment pour le « Come Paride vezzoso » au contraire, un savoir-faire technique important.
Quant à la Giannetta d’Eirin Rognerud, elle est drôle et a beaucoup de charme mais le timbre est un peu confidentiel.
Menée de main de maestro, la soirée se termine en apothéose dans un final tout à fait époustouflant, devant une salle comble, pas mal de jeunes spectateurs, quelques enfants même, et une grande satisfaction à l’issue de cette représentation de qualité. La qualité Munich incontestablement !
Photos WILFRIED HÖSL
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