Opéra de Munich : une « Aida » (Verdi) dominée par l’Amnéris bouleversante de Elīna Garanča

 Dans une mise en scène très discutable de Damiano Michieletto, cette deuxième reprise d’Aïda à Munich était brillamment dirigée par le chef italien Francesco Ivan Ciampa et offrait une distribution dominée par l’extraordinaire Amnéris de Elīna Garanča.



Aïda, si difficile à mettre en scène ?

Mes récentes expériences d’Aïda me laissent penser que se risquer à une « modernisation » et surtout un changement volontaire de décor, de cette œuvre composée par Verdi sur commande du vice-roi d'Egypte, Ismaïl Pacha, pour l'inauguration du nouveau théâtre du Caire et donc volontairement très « égyptienne » n’est pas évident et généralement raté. Je citerai en vrac celle d’Olivier Py en 2013 puis celle de Lotte de Beer en 2020, toutes deux à à l’Opéra de Paris Bastille, mais aussi celles de Lydia Steier dont j’ai parlé récemment en assistant à une reprise à l’Opéra de Francfort. 

On peut ajouter les deux productions vues à plusieurs reprises à Munich, celle de Christof Nel créée en 2009 et celle de Michelietto créée en 2023. Inégalement appréciées, ces mises en scène ont en commun malgré tout de ne pas vraiment convaincre concernant leur adéquation de la difficile équation de la scénographie de cette œuvre musicalement magnifique mais qui comporte deux actes de « foule » et deux actes « intimes ».

La richesse psychologique des personnages et des situations devrait pourtant donner des idées aux metteurs en scène qui s’attachent à la valorisation des caractères et il n’est pas si difficile de donner au moins l’idée de l’Égypte comme un Bieito avait su le faire à propos de l’Espagne dans sa très brillante (et pourtant très modernisée) Carmen. La foison de décors grandioses n’est pas forcément nécessaire mais il faut évoquer le Nil, la chaleur, la lumière, l’exil pour donner un sens à cette histoire tragique.

Le parti pris de Michelietto peut se discuter mais il peine à illustrer cet aspect fondamental de l’œuvre de Verdi, symbolisé par ce prélude tout en douceur ou par les beautés exotiques de l’acte du Nil. Tout comme d’ailleurs, le côté solennel du deuxième acte avec sa procession à la gloire des vainqueurs et ses fameuses trompettes. Mais jamais, à l’inverse de Macbeth, Verdi ne perd de vue le nœud amoureux autour du trio Aida, Radamès, Amnéris qui s’invite pleinement lors des deux derniers actes mais est présent dès les premières mesures de l’œuvre. Rater l’articulation subtile et enivrante typique de ce Verdi, empêche quelque peu de se sentir emporté par le drame dans tous ses aspects.




Lors de la précédente reprise, en mai 2024, j’avais bénéficié d’une distribution beaucoup plus idoine, voire même presque idéale (Jonas Kaufmann d’abord et une Elena Sugova peu connue mais tout à fait intéressante, Ekatérina Semenchuk enfin déjà présente lors du brillant enregistrement de la Santa Cecilia de Rome qui a donné lieu à un CD inégalé depuis). 

La Première en 2023, était beaucoup plus discutable concernant les choix des interprètes, Brian Jagde qui n’est pas par ailleurs pas un chanteur très subtil, avait annulé, remplacé par Riccardo Massi, en difficulté dans le rôle notamment du fait d’aigus mal projetés, Elena Stikhina n’a pas vraiment l’expressivité que l’on attend d’un rôle fort complexe sur le plan du phrasé et des variations de couleurs nécessaires.

 

De la difficulté du chant « verdien »

Pour cette deuxième reprise, nous avons à nouveau Elena Stikhina qu’on entend souvent à Munich dans des rôles divers et qui ne « marque » pas vraiment par l’originalité de son interprétation finalement assez générique et un peu « banale » sans démériter pour autant.

Son « Air du Nil » bien exécuté mais sans passion, ne recueille d’ailleurs que des applaudissements convenus. Et l’on peine à croire dans cette absence d’affects, qu’elle suscite une telle passion chez Radamès. 

Le Radamès du ténor Arménien Arsen Soghomonyan, est musicalement intéressant, belle projection, phrasé correct, sens du legato et des nuances incontournables chez Verdi surtout dans un rôle – à l’instar de celui d’Alvaro dans la Forza del destino- qui est loin d’être monolithique et qui doit exprimer l’héroïsme et la gloire mais aussi l’amour fou, les hésitations, les renoncements et tant d’humeurs différentes que le ténor ne retransmet que partiellement. On regrette en particulier que dans l’admirable duo final avec Aïda alors que la mort les attend dans leur tombeau, ils chantent tous deux en mode forte le « O terra, addio » sans respecter l’indication « de plus en plus doux » que l’orchestre applique quant à lui pour laisser mourir les dernières notes.

L’art de Verdi ne présente en revanche aucune difficulté pour l’Amonasro du baryton mongol Amartuvshin Enkhbat, qui s’impose tranquillement comme l’une des plus grandes références dans Verdi sur les scènes internationales. Le timbre est superbe, le style irréprochable et la prestation vocale éblouissante mais le chanteur reste assez piètre acteur et dans cette mise en scène qui ménage peu de mouvements et d’interactions entre les artistes, il peine à rendre crédible son personnage de roi vaincu et menacé de déchéance et de mort.



 

Elina Garanča superstar

Il en est tout autre de l’Amnéris de la mezzo-soprano superstar Elina Garanča, véritable torche vivante, dont la passion pour Radamès transparait dans chaque accent, chaque, phrase musicale, chaque geste même tant la composition du personnage est parfaite. L’artiste que nous avons eu la chance de voir dans de nombreux rôles et notamment une Eboli inoubliable dans un Don Carlos super étoilé à l’Opéra de Paris Bastille en 2017, surprend toujours par la fraicheur de son interprétation. Le temps semble n’avoir aucune prise sur sa voix au timbre pulpeux, puissant et coloré, pas plus que sur sa silhouette jeune et élégante. La mise en scène lui prête des ensembles proprets et distingués et c’est d’autant plus impressionnant de la voir littéralement se vautrer au pied de la pyramide de cendres quand elle apprend la trahison de Radamès pour laisser libre court à sa colère et à son désespoir. Et de ses aigus percutants à ses graves puissants, elle possède désormais une palette de notes parfaitement maitrisées, les registres bien soudés les uns aux autres et la beauté de sa technique est étroitement mise au service d’une interprétation différenciée très riche en suggestions sur la complexité du personnage d’Amnéris, l’un de ses meilleurs rôles.

Le public de connaisseurs ne s’y trompe pas et lui réserve la plus belle ovation, scandant même son prénom lors des multiples rappels au rideau qui sont la spécialité de Munich.

Le Ramfis d’Erwin Schrott n’est pas en reste, bon acteur, belle voix, solide incarnation, le baryton basse a toujours pour lui cette puissante présence scénique. Et l’on saluera également le très efficace roi de la basse Alexander Köpeczin, habitué de la scène munichoise, silhouette et chant très noble et soigné.

Et nous n’oublierons pas la prêtresse d’Elene Gvritishvili et son beau chant uniforme et splendide. 

 

Direction musicale sensible

Comme la veille pour Macbeth, les chœurs ont réalisé un excellent travail capable d’alterner en changeant radicalement de style et de réussir aussi bien les psalmodies éthérées du temple que les accents guerriers, rythmés et combatifs particulièrement riches en couleurs.

 

La direction musicale de Francesco Ivan Ciampa a su insuffler à l’orchestre de l’opéra de Munich, ce tempérament passionné qui caractérise la partition verdienne, passant sans problème des moments les plus rêveurs, les plus romantiques ou les plus lyriques, à ces fièvres martiales et guerrières qui culminent avec le fameux morceau des trompettes d’Aida, exécuté avec brio par les instrumentistes placés dans les loges situées au-dessus de la fosse. 

Et à plusieurs reprises, l’orchestre a respecté les multiples nuances musicales expressives écrites par Verdi d’une façon plus authentique et plus émouvante que les solistes eux-mêmes.


Une belle soirée d’excellente tenue !






Distribution du 15 décembre 2024

 

Direction musicale : Francesco Ivan Ciampa

Mise en scène : Damiano Michieletto

Amneris : Elīna Garanča

Aida : Elena Stikhina

Radamès : Arsen Soghomonyan

Ramfis : Erwin Schrott

Amonasro : Amartuvshin Enkhbat

Le Roi : Alexander Köpeczi

Une Prêtresse : Elene Gvritishvili

Bayerisches Staatsorchester

Bayerischer Staatsopernchor und Extrachor der Bayerischen Staatsoper

 

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