Munich : on aime « La Bohème » si joliment interprétée !



Ambiance des grands soirs ce lundi à Munich où l’opéra de Bavière reprenait la splendide scénographie d’Otto Schenk, récemment disparu, pour l’œuvre la plus populaire de Puccini, La Bohème, avec une fort belle distribution comprenant Angel Blue, Pene Pati et Mattia Olivieri. Que du bonheur sous la direction de Carlo Rizzi ! 


L’insouciance de la jeunesse et soudain… le drame

La Bohème c’est Montmartre, « la vie de bohème » de quatre artistes jeunes, et insouciants qui tentent de survivre de leur art avec passion, enthousiasme, humour et… amour. Et leur quotidien drôle et tendre est soudain perturbé par l’arrivée de Lucia, dite “Mimi”, cousette, qui grimpe un soir jusqu’à leur mansarde. Rodolfo le poète tombe éperdument amoureux d’elle, Marcello le peintre, lui, file des amours orageuses avec la volcanique Musette. Et puis il y a des drames, des querelles, un acte 3 plus grave qui annonce le drame à venir. Mimi est malade mais Rodolfo ne comprend pas à quel point. L’acte 4 commence sur une tonalité drôle où les quatre s’en donnent à cœur joie pour mettre en scène leur misère et en rire et puis soudain… mais Musetta arrive amenant Mimi, à l’agonie qui vient mourir chez les quatre compagnons. Mimiiiiiii. Rideau.




C’est un drame moderne, un récit vif et court, qui en moins de deux heures nous raconte une histoire triste et mélancolique qui donne la part belle à la jeunesse et à ses rêves, à l’art et à l’amitié.

Musicalement, c’est enlevé, c’est du Puccini, la musique de film s’inspirera énormément du maestro italien, notamment dans ses brusques changements de style annonçant des tournants dans le déroulé de l’histoire. Il n’y a donc aucune difficulté d’accès et moi-même, j’avoue bouder rarement une représentation de la Bohème, juste pour le plaisir.

 

Otto Schenk indémodable

Munich reprenait la magnifique (et simple) mise en scène d’Otto Schenk, récemment disparu, qui avait été créée en 1969 mais n’a pas pris une ride. Non seulement elle offre des décors très authentiques et très fidèles aux indications de Puccini mais surtout, elle épouse étroitement les différents moments de l’action, prévoyant une direction d’acteurs précise dans les scènes intimistes (acte 1, 3 et 4) comme dans les scènes de foule de l’acte 2, où les discussions au café Momus alternent avec le tintamarre des vendeurs de rue puis, plus tard, la marche militaire des soldats. Et ce joyeux bazar très puccinien sur le plan de l’accompagnement musical, est particulièrement bien vu dans cette mise en scène, immeubles parisiens, rues étroites, foule dense, café terrasse typique, tout y est, et renforce cette impression de bonheur et d’insouciance. Car Puccini ouvre ensuite l’acte 3 sur les scènes à la barrière d’enfer sous la neige qui tombe, dans cette atmosphère oppressante où Mimi, toussant à fendre l’âme cherche désespérément Rodolfo. Le contraste des décors (applaudis en tant que tels par le public) correspond parfaitement à ce changement brutal d’atmosphère, alors que l’orchestration se fait plus dramatique.




En décembre 2020, l’opéra de Munich alors sous lock down du fait des règles restrictives dues au COVID, avait pu maintenir une représentation de cette Bohème avec une distribution de luxe (Jonas Kaufmann et Rachel Willis-Sorensen) pour une retransmission en direct dont nous avions parlée avec enthousiasme. 

Elle a, depuis, été reprise sur scène en 2022 puis en 2023, dans des conditions « normales ».

 

Une bien belle distribution, jeune et dynamique

Pour ce début 2025, ce sont quatre représentations qui sont proposées avec une distribution, une fois encore, très intéressante puisqu’elle regroupait la soprano Angel Blue, le ténor Pene Pati et le baryton Mattia Olivieri sous la direction de Carlo Rizzi.

C’est au Met en octobre 2017 qu’Angel Blue a fait ses débuts (remarqués) en Mimi dans la mise en scène de Zefirelli. C’est donc une chanteuse expérimentée qui arrive à Munich et dès son « Mi chiamano Mimì », elle confirme sa maitrise du rôle. 

La voix n’est pas immense et le timbre un peu générique mais elle est lumineuse et le style est irréprochable même si l’on peut noter une tendance à offrir beaucoup plus de volume dans les aigus qu’au centre et au bas de la tessiture. Sa plus belle prestation de la soirée sera le magnifique « Sono andati? Fingevo di dormire » final littéralement ovationné comme elle le sera au rideau, pour sa Mimi bouleversante.



Son partenaire Pene Pati faisait ses débuts à l’Opéra de Munich, après le Royal Opera et Ballet de Londres en décembre dernier. Le ténor samoan n’est cependant pas un nouveau-venu en Rodolfo et nous avions pu le voir en ? à Paris au Théâtre des Champs-Elysées dans une production assez réussie d’Eric Ruf .

Le ténor commence prudemment lors de l’acte 1 et peine un peu à se chauffer, le volume de la voix est légèrement en retrait et après un très beau début il trébuche légèrement sur l’ut de « speranza » dans l’air emblématique « Che Gelida Manina » mais se reprend rapidement pour finir brillamment et aborder le duo qui suit en respectant prudemment la partition sans « monter » dans les aigus au final.
Dès l’acte 2 l’assurance est rétablie et le ténor monte en puissance, ce qui sera confirmée par un bel acte 3, émouvant et juste, quand il révèle que la vraie raison de son abandon de Mimi est le fait qu’il est trop pauvre pour subvenir à ses besoins. Le duo avec Marcello qui introduit l’acte 4 « O Mimì, tu più non torni ». 




Le timbre est toujours aussi beau et le naturel du chant de Pene Pati est toujours un véritable bonheur, d’autant que la voix est souple et la diction très belle. Son chant n’est jamais artificiel et son aisance sur scène conforte cette approche très simple de ses rôles. Son Rodolfo poétique est celui d’un grand garçon encore un peu immature mais tellement généreux et sympathique qu’on pleure avec lui lors de « Mimi » final (un peu couvert par l’orchestre).

La tessiture centrale de Rodolfo est, cela dit, un peu basse pour les moyens très lyriques de Pene Pati ce qui l’oblige à beaucoup d’efforts pour chauffer sa voix. Il semble que des rôles comme ceux de Faust, Nemorino ou de Roméo sont bien davantage dans ses cordes et qu’il devra, pour durer, choisir soigneusement les emplois qui lui conviennent. C’est l’un de nos ténors préférés et nous y tenons ! 

Le peintre bohème, Marcello, c’est Mattia Olivieri et le baryton italien, très remarqué dans son Don Giovanni un peu sur toutes les scènes d’Europe, montre une nouvelle fois ses qualités vocales et scéniques dans un rôle qu’il habite littéralement. L’association avec Pene Pati fonctionne particulièrement bien, les deux artistes ayant en commun jeunesse et naturel, et une complicité évidente sur scène qui convient particulièrement à l’incarnation de ces deux amis, artistes pauvres mais confiants dans leur art et leur avenir, personnages très positifs.



Dans le jeu à quatre, les Schaunard d’Andrew Hamilton (entendu la veille en Silvano) et Colline de William Thomas, ne sont pas en reste de beau chant, de verve et d’humour notamment à l’acte 4 lorsqu’ils chantent, dansent et miment le jeu de divers instruments pour tromper leur faim et se figent soudain, rivalisant ensuite de générosité quand Mimi arrive agonisante.

A la fois tendre, voir compatissante, et délurée, Musetta est interprétée par la soprano américaine Andrea Caroll, qui a appartenu à la troupe de l’Opéra de Vienne jusqu’en 2020. Elle y est particulièrement remarquable et juste, montrant à la fois une grande présence scénique et une judicieuse interprétation vocale. 

Et les rôles secondaires mais qui ont « leur » scène, du propriétaire abusé à l’acte 1 Benoît (Christian Rieger), du vendeur de jouets, Parpignol (Samuel Stopford) et de l’amant trompé de Musetta, Alcindoro (Martin Snell), sont très bien tenus.

Carlo Rizzi conduit l’orchestre de Bavière en accentuant les passages les plus tendus et en ménageant les respirations lyriques et romantiques prévus par Puccini. Un peu trop fort et couvrant parfois les artistes lors de la première partie, il se révèle un parfait soutient et partenaire des voix en deuxième partie.


Une belle soirée, très réjouissante avec une équipe qui allie jeunesse et bonne humeur, ce qui a valu ce bel accueil au rideau !



Photos : 

© Geoffroy Schied

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