Mitridate, re di Ponto - Mozart - ROH Londres - 24 et 26 juin 2017 -
Mitridate, re di Ponto
Wolfgang Amadeus Mozart
Livret : Vittorio Amedeo Cigna-Santi
Mise en scène : Graham Vick
Lumière : Nick Chelton
Chorégraphie et mouvements sur scène : Ron
Howell
Direction musicale : Christophe Rousset
Mitridate : Michael Spyres
Aspasia : Albina Shagimuratova
Sifare: Salome Jica
Farnace : Bejun Mehta
Ismene : Lucy Crowe
Marzio : Rupert Charlesworth
Arbate : Jennifer Davis
La production de Vick date de 1991. Avec la
direction soignée et inspirée de Rousset, et la qualité des interprètes, c'est
le clou du spectacle.
Générale du 24 juin et Première du 26 juin 2017, Royal Opera House - London.
Mitridate est un opéra d'extrême jeunesse
de Mozart, quoique, concernant son génie précoce, l'échelle du temps n'est pas
forcément la même. Il n'a "que" 14 ans quand il écrit cet opéra
seria, sur la base d'un livret de Vittorio Amedeo Cigna-Santi, d'après la
tragédie de Racine.
L'opéra comprend de nombreux airs virtuoses
et une redoutable partition pour Mitridate le rôle-titre qui contraint le ténor
à des sauts d'octaves entiers à plusieurs reprises.
Les deux fils de Mitridate, Farnace et
Siprare, étaient prévus pour des castrats, l'ainé en alto et le plus jeune en
sopraniste, les autres rôles sont deux sopranos (Ismène et Aspasia) et un ténor
(Marzio).
Autant dire qu'on navigue dans les notes
hautes globalement, et que l'orchestre assez léger, accompagne discrètement les
grands airs (il n'y a que deux ensembles), après une ouverture assez
impressionnante qui témoigne déjà de la maitrise mozartienne et de son génie.
Christophe Rousset dirige un ensemble de
très haute tenue musicale et vocale avec beaucoup de grâce et de pertinence,
pour une soirée de réussie globalement malgré les très grandes acrobaties de la
partition et la longueur de l'opéra : trois heures de musique plus deux
entractes de 20 et 25 minutes. Peu de spectateurs sont partis avant la fin
malgré la longueur peu usitée surtout pour un opéra dont l'intrigue est assez
réduite.
Mitridate est un opéra rempli de surprises
et de petits joyaux musicaux, qui gagne à être écouté plusieurs fois avant de
livrer tous ses secrets.
Et l'étonnante mise en scène de Graham Vick
rajoute à l'intérêt globale du spectacle en valorisant par une beauté plastique
époustouflante, la grâce pure de la musique de Mozart.
Prenant le parti de faire de la tragédie
racinienne, une pièce de théâtre "Nô" de la grande tradition de l'art
Japonais, avec ses costumes luxuriants et signifiants et ses masques étranges,
ses postures d'acteurs telles de grandes pantomimes ou marionnettes mues par
des fils invisibles, ses ballets lents, ses marches scandées par des frappes de
bâtons immenses au sol, le tout en parfaite harmonie avec la partition (et
Rousset attentif à l'équilibre complexe de l'ensemble), Vick touche au génie et
vous scotche dès la première image (voir photos à l'ouverture du fil).
Ce n'est pas de tout repos pour les
chanteurs, contraints de porter de lourdes robes aux couleurs éclatantes, qui
plus est imitant ces incroyables robes des infantes d'Espagne peintes par
Velazquez, dont la largeur atteignait des proportions absurdes. La moins gâtée
de ce point de vue est la princesse Aspasia,la promise de Mitridate, qui ne
quitte pas cet improbable costume dont on imagine qu'elle a du mettre un
certain temps à adopter...

Perruques blanches ou colorées, masques
divers, accessoires nombreux, couleur rouge dominante de la scène avec quelques
symboles (le sable, le désert, la terre) selon les moments, danseurs et
danseuses "Nô", tout est stylisé et symbolisé et tout fonctionne très
bien.
Un spectacle esthétiquement fascinant dans
l'opéra qui détient quelques unes des promesses du Mozart adulte.
Mais le plaisir ne serait pas complet si la
distribution n'était pas elle aussi de haut niveau.
Je commencerai par le contre-ténor
"alto" Bejun Metha qui, en Farnace, domine incontestablement le
plateau de sa belle voix, magnifiquement projetée, un peu rauque et sévère face
à la soprano délicate de Salome Jicia qui incarne le jeune frère Sifare avec
grâce et retenue. Un contraste parfait entre les deux fils qui s'affrontent,
une perfection du double chant ainsi distribué et du très grand Metha dans un
rôle très difficile (le plus long je pense...) qu'il "joue" de
surcroit à la perfection.
J'avais déjà entendu Michael Spyres très
récemment en Mitridate : il est bien mieux servi par cette mise en scène, ce
chef et ces partenaires qu'au TCE l'an dernier et la noblesse de son personnage
est totalement rendue avec classe et grandeur. Ses qualités vocales font le
reste. Oui, me suis-je dit, il aurait pu chanter le rôle du ténor dans la Reine
de Chypre de manière parfaite. Tout juste, comme au TCE, peut-on parfois
percevoir dans ses suraigus chantés un octave au dessus de la note précédente
en écart brusque, une petite hésitation de la voix avant que la note ne se pose
vraiment. Mais l'ensemble est brillant et son air d'entrée a été ovationné
(comme d'ailleurs tous les airs solistes dont l'opéra ne manque pas...)
Très bonne surprise avec l'Ismène de Lucy
Crowe, étonnamment claire et vaillante, très jolie voix traversant la salle du
ROH sans aucune difficulté, très belle interprétation vocalisante et pure.
Albina Shagimuratova (Aspasie) et Jennifer
Davis (Arbate, le gouverneur en robe noire de derviche tourneur) sont sans
doute un petit cran en dessous, quoique de très haut niveau, dans une partition
difficile notamment la première qui a été à plusieurs reprises très brillante
également.
Jolie surprise aussi avec le Marzio de Rupert
Charlesworth, ténor remplaçant de dernière minute mais habitué du rôle, qui a
tenu ses courtes apparitions si remarquablement qu'il a été, malgré la brièveté
de son rôle, l'un des plus applaudis.
Bref une matinée, puis une soirée de
redécouverte d'un opéra passionnant (malgré ses longueurs), dans un écrin
parfait, musique et mise en scène, décors, et costumes.
Dommage que mes rebelles de l'amphi aient
jugé bon de rire de manière incongrue à l'apparition de certains costumes. On
leur pardonnera leur jeunesse insolente, ils ont applaudi très chaleureusement
au baisser du rideau.
PS : je pense qu'une rediffusion sera
disponible sous peu sur BBC3.
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