A la recherche des compositrices "oubliées" : Clémence de Grandval ce lundi à la BNF

Après les compositrices Rita Holmès, Rita Strohl ou Jeanne Leleu, c’est au tour de Clémence de Grandval, de connaître une résurrection bienvenue grâce au travail de l’Association « Elles women Composer » qui nous livre un constat accablant concernant le travail « oublié » des artistes femmes.




Concert à la BNF, découverte de Clémence de Grandval

Ce lundi, comme pour le beau concert Jeanne Leleu, c’est la Bibliothèque Nationale de France, rue Richelieu à Paris, qui accueille musiciens et spectateurs dans sa belle salle ovale.

Fiona McGown, mezzo-soprano, Raphaëlle Moreau au violon et David Kadouch au piano, nous donnent un bref mais chaleureux aperçu du talent de cette compositrice, née en 1828. 

Elle a composé ses premières pièces à 10 ans, reçut une formation en composition par Friedrich von Flotow puis par Camille Saint-Saëns et au piano par Frédéric Chopin. 

Elle-même artiste lyrique, elle compose plusieurs opéras, La Comtesse Eva, La Pénitente, Piccolino et Mazeppa et un Stabat Mater récemment exhumé. Elle fut même récompensée par le prix Rossini en 1880. En son temps elle connait un vrai succès puis ses œuvres et même son nom tombent dans l’oubli.

Saint-Saëns soulignera d’ailleurs l’une des causes des limites de sa notoriété en déclarant : « si Clémence de Grandval n’avait eu le tort, irrémédiable auprès de bien des gens, d’être femme ». Elle souffrait également de ses origines aristocrates qui conduisait la bonne société d’alors à la considérer comme forcément dilettante.

Et il nous reste à découvrir l’essentiel de ses œuvres, car lundi soir, les artistes eux-mêmes, aussi talentueux soient-ils, nous ont mis l’eau à la bouche avec quelques merveilleuses pièces mais l’on pressent à les écouter que ce n’est que la partie visible d’un iceberg beaucoup plus imposant.

Ainsi en est-il de la très virtuose et mélodieuse sonate pour violon et piano, qui comporte beaucoup de contrastes et de rythmes, tout en proposant une superbe mélodie, les deux instruments se répondant habilement. Il en est de même pour les deux délicieuses pièces pour violon et piano au style parfois un peu convenu.




Les « mélodies » chantées par la belle voix de Fiona McGown, montrent également un sens aiguisé de l’art lyrique, que Clémence de Grandval pratiquait elle-même, chantant ses propres oeuvres en s'accompagnant du piano. 

Mais la soirée serait un peu courte sans quelques ajouts, tout à la fois bienvenus car fort bien interprétés, et frustrants car l’art de Clémence de Grandval reste quand même, pour l’essentiel, encore inconnu : deux Nocturnes de Chopin et les « Violons dans le soir », mélodie de Saint-Saëns, accompagné (luxueusement) par violon et piano.

Outre le travail remarquable accompli par l'association Elles Women Composers et le label La boite à pépites, il faut noter l'existence,  de ci de là, de quelques enregistrements d’autres œuvres de la compositrice, par exemple  dans le recueil intitulé « Compositrices à l’aube du XXème siècle » où Juliette Hurel & Hélène Couvert interprètent sa suite pour Flûte et piano (label Alpha) ou à l'occasion de la sortie de l' anthologie « Compositrices » du Label Palazetto Bru Zane (2023)   mais il est clair que nous sommes encore loin du compte.






Une étude révélatrice

D’autant plus loin que, comme le souligne la violoncelliste et fondatrice de « Elles women composers », Héloise Luzatti, « il ne se passe pas une semaine sans que je découvre le nom d'une compositrice que je ne connaissais pas. C'est infini, il y en a des centaines et des milliers. C'est juste qu'on ne les connaît pas. ».

Cet ostracisme généralisé d’un monde très masculin, se traduit notamment par le fait que les compositrices, quel que soit leur succès en leur temps (voire leur notoriété) n’ont pas droit à un effet de suite. Autrement dit, dès leur décès, elles disparaissent des radars et ne figurent qu’épisodiquement dans les écrits de quelques journalistes, critiques musicaux passés eux, à la postérité, et qui n’étaient pas toujours exempts d’une vision masculiniste du talent.

L’une des conséquences est qu’encore aujourd’hui, une part très faible des programmations musicales, sont le fait de compositrices

Elles Women Composers, avec le soutien du Ministère de la Culture, vient de publier une étude très éloquente sur le sujet, la première du genre, qui passe au crible la part entre les hommes et les femmes pour la saison 2022-23 : Compositrices, quelle place dans les programmations françaises ?

Le résultat, issu d’une méthodologie rigoureuse et détaillée, est sans appel : seulement 6,4% des œuvres jouées dans les plus grandes institutions de musique classique en France au cours de la saison 22/23, sont le fait de femmes et seulement 4% du temps de programmation (autrement dit les œuvres proposées sont en moyennes plus courtes).

Le chiffre « moyen » de 6,4% en part des œuvres de compositrices sur l’ensemble de la programmation, ne varie sensiblement pas si on le décline entre les lieux de diffusion (6,8), les orchestres (6,7) ou les festivals (6,8). Ce sont les Opéras qui font baisser la moyenne avec 4,3% en part de programmation, tout confondu (il s’agit des institutions « Opéras » qui peuvent aussi programmer autre chose que du lyrique pur). Et comme le précise l’étude, alors que nombre de compositrices ont écrit des opéras : En réalité, sur la saison 2022/2023, sur 199 programmes d’opéras présentés par des maisons d’opéra, qui sont ceux qui impliquent les budgets les plus importants, seuls 5 comprenaient un opéra de compositrice. » (soit 2,5%).

L’étude, en livrant la liste exhaustive des opéras de compositrices donnés en France, souligne aussi que la plupart des œuvres sont le fait de compositrices contemporaines, à qui il est désormais plus souvent passé commande comme Missy Mazzoli (Breaking the Waves à l’Opéra comique) ou Olga Neuwirth (Outcast à la Philharmonie de Paris).

La seule compositrice « réhabilitée » serait dans ce cadre, Louise Bertin et son « Fausto ».

Pour ce qui est des œuvres orchestrales ou de musique de chambre, la palette est bien plus large et comprend des noms comme Lili Boulanger (55) ou Clara Schumann (53), les plus « jouées », mais aussi Mel Bonis (45) Fanny Mendelssohn (36), Nadia Boulanger (32) Pauline Viardot (21), Betsy Jolas (20), Cécile Chaminade (19), Elisabeth Jacquet De La Guerre (19) ou Hildegard Von Bingen (18).

Faire prendre conscience du problème pour tenter d’y remédier, tel est l’objectif de Elles Women Composers. Et accusée de vouloir pratiquer une politique de « quotas » qu’elle jusge « anti-artistique », Héloise Luzzati répond clairement : « Bien entendu, ce n'est pas le but, on ne se dit pas qu'il faut arriver à un 50/50, c'est anti-artistique, précise-t-elle. L'objectif de tout notre travail est de faire découvrir de la musique, ça ne retire rien à l'histoire de la musique telle qu'elle a été écrite, ça lui ajoute juste un bout de l'histoire qui lui manque. »

 

L’étude complète par ce lien

https://elleswomencomposers.com/wp-content/uploads/2024/03/Compositrices-quelle-place-dans-les-programmations-francaises-1.pdf


 Photos : Crédit Jean Fleuriot.

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